Vous proposez la création d’un service public de l’identité électronique. Pourquoi un service public ?
Le gouvernement actuel a légalisé la signature électronique. Mais il s’en remet au secteur privé pour la mise en oeuvre effective d’autorités de certification. Or il n’existe pas encore de demande forte du public pour ce type de produits. Le marché ne se développe, par conséquent, que très lentement. La création par l’Etat d’un service public de l’identité électronique permettra à chacun de disposer d’une clé matérielle d’identification, véritable sceau numérique permettant de signer et de s’identifier électroniquement. Il sera distribué au public par les services préfectoraux chargés des papiers d’identité. On en généralisera ainsi rapidement l’usage. Il deviendra possible d’utiliser les emails pour les courriers administratifs ou commerciaux, et de mettre véritablement en place des télé-procédures administratives. Ce progrès aura un grand impact sur le développement économique du secteur et sur l’intégration d’Internet dans notre vie quotidienne. En plus, l’identification électronique des citoyens constitue clairement une mission régalienne.
Vous désirez une formation accrue des enseignants à l’informatique. Quel niveau doivent-ils atteindre ?
Pour l’introduction des TIC dans l’éducation, le gouvernement a surtout agi, ces dernières années, sur l’équipement des établissements en ordinateurs et leur raccordement à Internet. Il a cependant négligé la formation des enseignants. Résultat fréquent : une sous-utilisation des possibilités offertes. Parfois un véritable gâchis. Je propose donc un effort massif de formation des enseignants aux TIC. Par ailleurs, une familiarité avec les TIC est aujourd’hui nécessaire à l’intégration professionnelle et sociale et nécessite un enseignement spécifique, pour lequel je propose la création d’un CAPES et d’une agrégation d’informatique. Ces enseignants spécialistes faciliteront la mise en oeuvre et l’administration des matériels et des réseaux.
Quel point de vue avez-vous sur la politique menée par l’Union Européenne en termes d’accès au Net ? N’est-ce pas un levier sur lequel peser pour une vraie politique de l’accès ?
On ne peut qu’être d’accord avec l’objectif d’un accès moins cher et plus rapide à Internet des initiatives européennes telles que le plan e-Europe. Cependant, pour l’atteindre, l’intensification de la concurrence entre opérateurs ne suffira pas. La démocratisation réelle de l’accès à Internet, indispensable pour éviter l’accroissement des inégalités, et le développement des réseaux et des accès haut-débit sur tout le territoire, élément essentiel de la politique d’aménagement du territoire, nécessitera l’engagement de l’Etat. Par contre, une grande initiative européenne d’investissement dans les réseaux serait très utile et contribuerait au soutien de la croissance. De même l’Union Européenne a vocation à promouvoir de grands projets d’infrastructures tel le système Galileo de géo-localisation, essentiel pour notre indépendance stratégique et générateur d’activité économique et d’emplois.
Vous souhaitez une réforme de l’Icann. Pourquoi ? En quoi la France peut-elle peser sur la modification d’une institution contrôlée par le gouvernement américain ?
L’ICANN, chargé actuellement de la gestion des noms de domaines et des adresses IP, est un organisme de droit privé américain dont la gestion est très contestable. Son fonctionnement basé sur l’implication quasi-exclusive du secteur privé est un échec, de l’aveu même de son président actuel. Internet est un réseau mondial et les tâches assurées par l’ICANN doivent aujourd’hui légitimement être confiées à une agence internationale. La France possède un grand poids politique, qu’elle rechigne souvent à utiliser du fait du manque d’ambition de ses gouvernements. Dans ce domaine comme plus généralement sur la scène internationale, elle doit contribuer à favoriser l’émergence d’un monde multipolaire, plus équilibré et plus apaisé.
Vous prônez la lutte contre le crime informatique via la « libéralisation de l’utilisation de la cryptologie ». Est-ce à dire qu’elle n’est pas libre ?
Je ne parle pas que de la cryptologie. J’insiste aussi sur un renforcement considérable des moyens des services spécialisés et une politique globale de sensibilisation de tous aux questions de sécurité informatique. Mais les techniques cryptologiques sont les seules à même de garantir la confidentialité et l’intégrité des échanges de données et la sécurité des réseaux. La mise en oeuvre de réseaux privés virtuels, l’administration à distance de postes de travail ou l’échange d’emails sécurisés reposent sur des techniques cryptologiques. Dans ces conditions, la limitation de l’usage de la cryptologie gênerait la sécurisation des réseaux sans empêcher les utilisations criminelles d’Internet. Il est donc nécessaire de poursuivre le mouvement d’assouplissement de la législation amorcé par le gouvernement en 1998, tout en encadrant la fourniture de certaines prestations de cryptologies - comme celles liées à la certification et aux tiers de confiance- sur le sérieux desquelles les utilisateurs doivent pouvoir compter.
La lutte contre le cybercrime a notamment été impulsée par les Etats-Unis qui tentent d’instrumentaliser le Conseil de l’Europe à leur profit. Comment comptez-vous concilier cette pression avec la lutte « contre les activités criminelles en ligne » ?
La convention sur la cybercriminalité du Conseil de l’Europe, signée en novembre dernier par la France, est un outil nécessaire pour lutter contre la criminalité en ligne. Ainsi pour remonter jusqu’à l’auteur d’un délit commis en ligne, comme par exemple la diffusion de matériel pédophile, il peut être nécessaire d’enquêter sur les réseaux de plusieurs pays. Ce que facilite cette convention dans le respect des principes du droit tels que la double incrimination des infractions. Nous devons, bien entendu, agir en ce domaine comme partout, selon nos principes de respect des libertés individuelles et de la vie privée. Mais, si certains des projets ou programmes américains de surveillance des réseaux sont effectivement inacceptables, ce n’est pas le cas de la convention sur la cybercriminalité du Conseil de l’Europe.