Il n’y a pas qu’en Afrique du Sud qu’Internet rend les pouvoirs paranos. Dans le monde entier, les règles démocratiques de base semblent être bonnes à bafouer dès qu’il s’agit du réseau.
L’Afrique du Sud, qui se veut une démocratie, souhaite mieux contrôler Internet. D’autres Etats, qui n’ont pas totalement cette prétention démocratique (Singapour, Chine, Malaisie...), l’ont déjà fait. D’autres, que l’on pense démocratiques (Grande-Bretagne, France, Allemagne, Australie...) rêvent de le faire. Et on se demande pourquoi toutes les règles habituellement acceptées dans ces pays (liberté d’expression, confidentialité des données personnelles, protection de la vie privée, prescription...) disparaissent brusquement dans les tréfonds de l’intelligence des hommes de loi (les politiques) et de droit dès que le nom "Internet" apparaît.
Sans doute pensent-ils, comme Mme Giroud, que la totale liberté de publication sur Internet est un " danger public ". C’est aussi la gloire des démocraties de faire a priori confiance à leurs citoyens, et de ne sanctionner que les délits avérés. Mais le réflexe de l’être humain est d’avoir peur de ce qu’il ne connaît et ne comprend pas. Les différentes enquêtes (notamment de Transfert) sur l’utilisation des nouvelles technos par les juges et les politiques ont montré la très faible connaissance en la matière de cette catégorie de la population. Pour les élus, Internet est un mystère, et éventuellement un outil de promotion utilisable pour leur prochaine campagne électorale. Très peu d’entre eux l’utilisent au jour le jour, l’apprivoisent dans leur fonctionnement normal, l’explorent pour des raisons professionnelles, familiales ou ludiques. Bref, ils n’y comprennent rien, et semblent ne vouloir surtout pas s’y connaître plus (le Parlement a mis des moyens importants à la disposition des élus pour qu’ils se forment, qu’ils s’équipent. Cela n’a pas l’air de changer grand chose). Idem pour les magistrats, de toute façon sous-équipés dans leurs tribunaux. On se souvient de la réaction des juges lyonnais à la réception d’un CD-Rom expliquant une prochaine loi : ils avaient symboliquement retourné le CD-Rom à l’envoyeur, le Ministère, car malgré leurs demandes répétées depuis plusieurs années, ils n’avaient pas réussi à faire équiper leurs micro-ordinateurs de... lecteurs de CD-Rom.
Et cette description est plus ou moins celle d’un bon nombre de démocraties peu avancées en matière d’Internet (nous excluerons peut-être les pays scandinaves). Alors 1. Les élus n’y comprennent globalement rien. 2. Les juges ne sont guère mieux lotis. 3. Ceux qui s’y connaissent vraiment sont souvent dans des associations jugées incontrôlables par les pouvoirs et puissances institués. L’équation a trop d’inconnues pour le législateur. Et il lui semble qu’en matière d’Internet, il faut appliquer la bonne vieille règle du principe de précaution : on tire d’abord, on réfléchit ensuite...