Portés aux nues en début d’année, les incubateurs américains - du célèbre Idealab de Bill Gross au plus obscur - mordent aujourd’hui la poussière.
Les ...tats-Unis n’ont pas échappé à la mode des incubateurs. De 12 en 1980, leur nombre est passé à plus de 900 cet été. Avec une forte augmentation au cours des deux dernières années. Au plus fort de la vague, la National Business Incubator Association (NBIA) recensait même quatre à six nouveaux incubateurs par semaine. Quelques mois plus tard, c’est la déconfiture. La NBIA ne dispose pas encore de statistiques sur le rythme des faillites de ces mêmes incubateurs, mais nombre d’entre eux ne franchiront pas le cap du nouveau millénaire.
Une liste interminable de losers
"Ce modèle loué par les plus grands il y a quelques mois est devenu la bête noire des investisseurs, explique Flore Vasseur, directrice de la société de veille technologique new-yorkaise Trenspotting. L’exemple caricatural, c’est Bill Gross, le fondateur de l’incubateur Idealab." De fait, la star des incubateurs a dû renoncer cet été à son introduction en Bourse. Un camouflet. "C’était un type intouchable mais avec ses participations dans Eve, eToy et Petsmart, pour ne citer qu’eux, il s’est pris bouillon sur bouillon", raconte Flore Vasseur. La liste des incubateurs losers semble interminable. Pour ne citer que les plus médiatisés, garage.com a lui aussi raté son introduction en Bourse, tandis que eHatchery a dû revendre son département technologique. Plus heureux, CMGI - l’investisseur-incubateur spécialisé dans le marketing-services - a eu la chance de lever beaucoup d’argent sur le Nasdaq. Mais depuis un an, son action a perdu 97 % de sa valeur : le cours a plongé de 163,5 à 5,31 dollars ! CMGI ne vaut aujourd’hui plus un clou.
Licenciements
Poussés dans leurs retranchements, les incubateurs américains appliquent sans pitié la "bonne vielle recette" du licenciement. À Atlanta, EHatchery n’a gardé que 25 des 50 salariés qu’il comptait au sommet de la vague. CMGI impose depuis plusieurs mois des réductions drastiques de personnel à "ses" start-ups, dont le portail AltaVista. Les licenciements à la pelle n’y changent rien. La question fondamentale demeure : les incubateurs ont-ils une vraie raison d’être ? Leur modèle repose sur de la fourniture de services gratuits aux start-ups en échange d’une importante participation au capital. Leur seule source de revenu consiste donc à introduire ces start-ups en Bourse ou à les revendre à de grandes entreprises. Et, ainsi, à réaliser rapidement un retour sur investissement explosif. "Ce modèle est dangereux car on ne verra plus, désormais, ces retours rapides sur investissement", prévient un consultant. Illustration parfaite, l’incubateur californien eCompanies n’a réussi à introduire aucune de ses sociétés en Bourse et se trouve aujourd’hui en difficulté. Il n’a d’autre choix que d’abandonner les start-ups de commerce électronique de détail pour se recentrer sur les projets d’Internet sans fil interentreprises. Autre exemple, CMGI qui ne faisait jusqu’alors pas payer ses services se voit aujourd’hui contraint de les facturer.
Au cimetière des opportunistes
Les incubateurs qui ne pourront se réorienter finiront probablement au cimetière des opportunistes de la netéconomie, un endroit de plus en plus couru. "Les entreprises sont venues très nombreuses à l’incubation. Pour beaucoup, c’était une logique opportuniste et exclusivement financière, souligne Flore Vasseur. L’argent pleuvait, il fallait en profiter et prélever sa quote-part de cette manne." Pour les autres il s’agissait de retenir leurs talents, de mettre un terme à l’hémorragie de cadres supérieurs vers les start-ups. À l’instar d’Andersen Consulting, plusieurs grandes entreprises ont créé un incubateur-maison, sorte de campus à l’usage des salariés entrepreneurs dans l’âme. "En fait, analyse Flore Vasseur, c’était un effet d’annonce destiné non seulement à calmer les velléités de départ des salariés mais aussi à communiquer en externe autour de la netéconomie."
Aujourd’hui plus rien. Quand leurs incubateurs n’ont pas été purement et simplement abandonnés, les entreprises évitent de toute façon d’en parler. Reste que tout n’est pas perdu pour tout le monde. La banque d’affaires Merrill Lynch, peu susceptible d’agir au hasard, vient ainsi de lancer un fonds d’investissement d’un milliard de dollars, plus de sept milliards de francs ! Cette réserve - le Merrill Lynch’s Internal Venture Capital Fund - financera et permettra d’incuber en interne des projets proposés par les salariés de la banque. Sans doute une façon de profiter de la débandade pour prendre des positions solides à moindre coût.