La société des autoroutes de la région PACA cherche à faire condamner l’auteur d’un site personnel au nom de l’atteinte au droit des marques et à la propriété intellectuelle.
Droit des marques contre liberté d’expression. Cette opposition a trouvé une illustration emblématique avec l’affaire Danone, le célèbre yaourtier qui cherche depuis plusieurs semaines à faire taire les sites internet au nom de l’utilisation de son logo. La société des autoroutes Estérel-Côte d’Azur-Provence-Alpes (Escota) a choisi d’adopter une stratégie assez proche contre l’un de ses opposants. À ceci près qu’elle s’attaque à un site dont elle a déjà obtenu la fermeture il y a plusieurs mois. Le 22 mai 2001, la société a assigné Nicolas B. informaticien de 27 ans, à comparaître devant le tribunal de Marseille. Elle lui réclame plus de 200 000 francs de dommages et intérêts pour un site personnel, hébergé chez Multimania, qui s’en prend à la gestion commerciale des autoroutes exploitées par Escota dans les Alpes-Maritimes. Elle fonde sa demande sur le détournement de son logo, l’imitation de sa marque et l’atteinte au droit d’auteur sur des photographies.
Diffamation prescrite
Les pages, regroupées dans le répertoire www.multimania.com/escroca, ont été supprimées une semaine après leur mise en ligne, en septembre 2000, la société des autoroutes ayant obtenu gain de cause en référé, avant même de connaître l’identité de l’auteur. D’après l’avocat de Nicolas B., Escota attaque aujourd’hui au nom du droit des marques parce que l’action pour diffamation est tombée sous le coup de la prescription trois mois après la fermeture du site. Thierry Alain, directeur des affaires juridiques d’Escota affirme de son côté que sa société "n’a pas voulu déclencher d’action pénale". Escota s’est concentrée dans son assignation sur la transformation de son logo en pénis, de sa marque en "Escroca", détournements "susceptibles de jeter la confusion dans l’esprit de l’internaute" et sur la reprise de photos qui illustrent son site. Pourtant, le texte de l’assignation reproche également des mentions injurieuses et une "incitation à la commission d’infraction pénale". D’après l’avocat du jeune homme, c’est bien la preuve que la société utilise le droit de la propriété intellectuelle pour obtenir réparation de propos qu’elle estime injurieux.
Viré par sa boîte
Visiblement très remonté contre la gestion des autoroutes, Nicolas B. s’était employé à dénoncer la politique tarifaire d’Escota, la mauvaise qualité de ses prestations, en matière de sécurité notamment, et lui reprochait d’avoir mis la main sur le trafic routier de la région. Les textes ne sont pas tendres et n’évitent pas l’insulte. Escroca se voit qualifié d’"enculeur économique puissant et bien membré". "C’était à prendre au second degré", assure son avocat, qui compte opposer le droit à la satire à l’accusation de détournement de logo. "J’ai cru pouvoir exercer ma liberté d’expression", assure de son côté Nicolas B. Après avoir obtenu les logs de connexion auprès de Multimania, Escota s’en est pris à l’hébergeur et à l’employeur du jeune homme, une société de télécoms, dont un ordinateur avait servi à mettre à jour le site "Escroca". Sommée en décembre par le juge de donner l’identité de l’employé, la société en question a fait signer à Nicolas B. un document la mettant hors de cause. Le lendemain, l’informaticien était licencié pour faute grave.
Poursuites tous azimuts
Thierry Alain, d’Escota, affirme qu’aucune action pénale n’a été intentée du fait du licenciement dont l’auteur a fait l’objet. Pourquoi alors demander 200 000 francs au jeune informaticien ? "La société qui l’a employé est responsable, elle a les moyens de payer et le fait que l’auteur du site ait été licencié ne nous concerne pas", répond le même homme sans crainte de la contradiction. Escota, quoi qu’il en soit, n’a pas assigné solidairement Nicolas B. et son ex-employeur. Les poursuivant distinctement, elle demande à chacun des dommages et intérêts. La société continue de plus son action contre Multimania, en dépit de la législation qui limite la responsabilité civile des hébergeurs. À croire, qu’au delà des insultes, les critiques adressées par le jeune homme dérangent. "On nous a assuré que notre action au fond avait des chances d’aboutir", annonce le représentant d’Escota. Le jugement, en tout état de cause, ne tombera pas avant longtemps, les parties n’ayant même pas atteint le stade des plaidoiries. Jusque-là, l’auteur du site garde une épée de Damoclès à 200 000 francs au-dessus de la tête. Mais il a quand même retrouvé un boulot.