Pour Eurolinux, l’adoption de la directive européenne, aujourd’hui, n’est qu’une étape
Le Parlement européen a adopté mercredi 24 septembre la directive instituant la brevetabilité des "inventions mises en oeuvre par ordinateur". Le texte a recueilli 361 voix pour, 157 contre et 28 abstentions. Le groupe des Verts européens ainsi que la Gauche unie européenne se sont prononcés contre le texte, tandis que les conservateurs du Parti populaire européen (PPE) et une partie des élus du Parti socialiste européen l’ont approuvé, ces derniers estimant sans doute les amendements adoptés suffisants.
Cette bataille des brevets logiciels aura dans tous les cas donné l’occasion aux adversaires de la directive, souvent partisans du logiciel libre, d’expliquer les enjeux de ce débat complexe. François Pellegrini, membre du collectif Eurolinux, un regroupement d’associations combattant le brevet logiciel, revient sur deux ans d’action.
Quel bilan tirez-vous de cette campagne européenne contre le brevet logiciel ?
François Pellegrini : Nous avons appris à être des lobbyistes. Pour beaucoup d’entre nous, il s’agissait de la première expérience européenne. Nous avons appris les subtilités de la législation européenne sur le tas. Il a fallu nous organiser et récolter des fonds pour financer les voyages. Si nous avions été un lobby professionnel, peut-être que nous aurions été plus percutants, mais notre côté un peu désorganisé a créé un climat de sympathie qui a finalement bénéficié à notre cause.
Comment mesurez-vous l’impact de votre action ?
En 2000, on avait l’impression de crier dans le désert. Depuis, nous avons pu ’éduquer’ nos interlocuteurs, notamment les journalistes. Le travail de pédagogie et de synthèse effectué par la Foundation for a Free Information Infrastructure (FFII), basée à Munich, a été fabuleux. Il nous a d’abord fallu dégager les enjeux politiques, économiques et stratégiques du brevet logiciel pour, ensuite sensibiliser tous les secteurs et catégories professionnels intéressés par le dossier. Nous avons pu leur démontrer la toxicité de la marchandisation de certains travaux intellectuels.
Le bénéfice de tout ce travail n’est pas perdu. Il sera utile lorsqu’arrivera sur le tapis le débat autour du projet de directive sur la protection des droits de propriété intellectuelle, proposé par Janelly Fourtou (épouse de Jean-René Fourtou, patron de Vivendi, et eurodéputée conservatrice, Ndlr). Cette directive veut maximiser les peines encourues pour contrefaçon mais elle contribuerait à tuer toute compétition industrielle. On assiste à un durcissement du discours des grandes entreprises sur ce qui touche aux privilèges qu’elles s’arrogent indûment. Mais il existe désormais une capacité de réaction du public. Les gens ont compris que lorsque l’intérêt général disparaît au profit des intérêts privés, c’est tout le système qui en pâtit.
En Europe, on a réagi trop tard au problème du brevet logiciel. Pour l’Afrique et les pays émergents, il faut agir tout de suite car il existe des besoins criants dans ce domaine. Les Etats-Unis mènent une bataille féroce auprès de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI). Ils cherchent en particulier à faire tomber le critère de ’contribution technique’, nécessaire pour l’attribution d’un brevet, dans la rédaction du Substantive Patent Law Treaty, qui vise à harmoniser le droit international. Cela reviendrait à permettre la brevetabilité des algorithmes et autres méthodes commerciales. Ces questions cruciales devront être abordées lors du Sommet mondial sur la société de l’information.
Quels ont été vos rapports avec les politiques ?
Au début, en tant que techniciens, nous nous adressions aux techniciens des gouvernements. Ensuite, nous avons découvert que les eurodéputés sont des généralistes de la politique, qui doivent travailler aussi bien sur les dossiers du transport aérien, du brevet logiciel ou encore des relations avec l’Ukraine. Ils ont un réel besoin d’expertise. Ils sont donc très accessibles, sauf ceux qui, à cause de partis-pris idéologiques ou de liens avec les lobbies professionnels, ne veulent rien entendre. En revanche, le travail au niveau de la Commission européenne ou du Conseil européen demeure opaque et gangrené par la présence de pseudo-experts qui roulent pour les lobbies professionnels. Là, il est nettement plus difficile de se faire entendre.
Le site de l’Union européenne:
http://www.europa.eu.int
Le site d’Eurolinux:
http://www.eurolinux.org
Le dossier sur les brevets logiciels (Transfert.net):
http://www.transfert.net/d60