Plusieurs instituts d’enquête se partagent aujourd’hui le marché de la mesure d’audience. Leur unique but : imposer leur mode de calcul de "l’audimat" du Net.
Plus de 900 millions de francs : tel était, en 2000, le gâteau de la publicité en ligne française. Pour en obtenir une part, un seul et même sésame : les mesures d’audience qui permettent de calculer la valeur des espaces publicitaires (les fameuses bannières qui polluent nos vies de surfeurs), de comparer les "performances" de sites concurrents, voire d’estimer la cote boursière d’une start-up. L’activité de mesure d’audience est très rentable : le marché mondial de l’audimat du Net représentait, en 1999, un chiffre d’affaires de plus de 1 milliard de dollars.
...normes revenus
Il existe aujourd’hui deux modes de recueil de la mesure d’audience : celle dite "site centric" est fondée sur le site étudié en lui-même, alors que la seconde, appelée "user centric", s’intéresse à l’attitude de l’internaute. Le premier indicateur se calcule à partir des statistiques internes de connexion, plus communément appelées les fichiers logs et grâce à des outils de marquage des pages web consultées (les marqueurs ou tags invisibles, situés en haut des pages - même s’ils devraient être en bas...). La méthode
user centric a la particularité d’être liée à la constitution de panels, un peu comme pour les sondages. La bataille fait donc rage entre les divers organismes d’études (Cybermétrie, eStat, Net Value, MMXI) pour imposer sa propre méthode de comptage. Celui qui réussira ce coup, s’assurera d’énormes revenus.
Le serpent se mord la queue
Le problème, c’est que la fiabilité des différentes méthodes reste encore à démontrer. Prenons par exemple, le cas Cybermétrie. Créé en juin 1999 par l’institut Médiamétrie (qui calcule l’audience des chaînes de télé et des radios), Cybermétrie effectue plus de 1,5 milliard de mesures par mois. "C’est une mesure collective de l’Internet en France, annonce François Blum, directeur général Internet et nouveaux médias de Médiamétrie. Nous n’avons pas la prétention de couvrir 100 % des sites. Nous ne nous occupons que de ceux qui veulent bien participer." Traduction : pour être classé, il faut payer. Car ne sont mesurés, dans le classement mensuel Cybermétrie, que les généreux souscripteurs. Combien faut-il payer pour apparaître dans ce classement ? "Un bon site moyen paie environ 3500 à 4000 francs par mois", explique François Blum. Sans oublier les 35 000 francs de droit d’entrée. Mais, au fait, qu’est-ce qu’un bon site moyen ? Un site qui fait une bonne audience... C’est le serpent qui se mord la queue : plus le site examiné affiche des chiffres de fréquentation élevés, plus l’organisme qui l’audite est rémunéré. Ce qui n’est pas très sain en termes d’impartialité. De plus, "seuls les souscripteurs ont droit aux résultats précis", explique François Blum. Seuls les chiffres globaux, comme le nombre de pages vues, sont rendus publics. Le système Cybermétrie ne convainc pas tout le monde. Un acteur majeur du secteur, qui préfère rester anonyme, affirme : "Nous avons choisi de ne pas participer à cette étude car elle est techniquement et déontologiquement contestable. Un éditeur peut, en effet, très simplement taguer une même page plusieurs fois afin de gonfler son audience auprès de Cybermétrie : ce n’est pas ainsi que nous estimons devoir affirmer notre position sur le marché. Cybermétrie sera intéressant quand tous les acteurs y seront présents et mesurés avec des outils exacts. C’est un OJD de l’Internet que nous attendons, pas un Médiamétrie..."
François Blum est pourtant clair. " Cybermétrie est l’une des études qui tend à unifier le marché de la mesure d’audience. Nous souhaitons créer une norme." Le but avoué est bel et bien de devenir LA référence. Mais le classement Cybermétrie peut-il réellement devenir incontournable quand l’un de ses responsables déclare à mi-voix : "c’est vrai que nous avons une marge de manœuvre réduite. Les clients dictent un peu la loi."