Le fournisseur d’accès français a annoncé, la semaine dernière, un chiffre d’affaires en forte hausse pour l’année 2000. Certes. Mais, selon un document que s’est procuré Transfert, les pertes de Liberty Surf s’établissent, aussi, à près de 1,3 milliard de francs. Trois fois le chiffre d’affaires...
"Liberty Surf confirme la très forte croissance de son chiffre d’affaires en 2000. (...) Croissance de 888 % du chiffre d’affaires annuel 2000 par rapport à 1999." Le communiqué, diffusé il y a tout juste une semaine, par le fournisseur d’accès Internet (FAI) gratuit, ne pouvait être plus enthousiaste. Le message était clair : même si le cours de Bourse s’est effondré depuis l’introduction, la société était un succès éclatant. Chiffres à l’appui.
Pourtant, la direction de la société a "omis" quelques données. D’abord, il faut relativiser le taux de croissance : le chiffre d’affaires 2000 (61,23 millions d’euros, 402 millions de francs) est difficilement comparable à celui de l’année 1999. Cette dernière fut celle du démarrage et Liberty Surf n’a enregistré que huit mois d’exercice sur cette période.
Liberty Surf a perdu 1 698 francs par abonné actif
Ensuite, le FAI n’évoque pas ses pertes. Il ne devrait d’ailleurs pas en parler avant le mois d’avril, à en croire un communiqué officiel. Or, selon un document que s’est procuré Transfert, la perte nette de Liberty Surf pour l’année 2000 devrait avoisiner 197 millions d’euros, soit près de 1,3 milliard de francs. Cela équivaut à une perte de 1 698 francs par abonné actif (761 000 abonnés actifs depuis le rachat de Freesbee). La perte avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement (Ebitda) s’établit, elle, à 138 millions d’euros (905 millions de francs).
Le document, provenant du groupe Tiscali, est intitulé Consolidated Budget. Les revenus et coûts du groupe Liberty Surf pour l’année 2000 y sont détaillés par activité (connexion, voix, publicité, commerce électronique) et correspondent aux chiffres annoncés par le groupe, la semaine dernière. La direction de Liberty Surf, contactée par Transfert, n’a pourtant pas souhaité commenter ces chiffres.
Liberty Surf a brûlé 119 millions de francs par mois
En poursuivant la lecture de ce document, qui aurait été établi en décembre 2000, on apprend que Liberty Surf a brûlé en moyenne 119 millions de francs par mois, de juillet à début décembre 2000. Résultat : sur les 3,4 milliards de francs levés lors de l’introduction en Bourse en mars dernier, il ne restait que 1,77 milliard au début du mois de décembre.
"Ce qui pèse dans les comptes, ce sont les dépenses de marketing, observe, sous couvert d’anonymat, un analyste financier. Les opérations en Angleterre ont coûté 15 millions d’euros [98 millions de francs, ndlr] pour aboutir à la fermeture de la filiale, autant dire rien. Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette entreprise n’a pas été bien gérée. Mais si l’on replace tout cela dans le contexte d’hystérie collective de mars 2000, ce n’est pas étonnant."
Le document comporte également une partie consacrée au budget prévisionnel de l’année 2001. Liberty Surf projette, pour cette période, un chiffre d’affaires de 115,5 millions d’euros (758 millions de francs) et un résultat net de 136 millions d’euros (892 millions de francs). Si l’on s’en tient à l’Ebitda, le groupe prévoit, pour 2001, une perte de "seulement" 60 millions d’euros (394 millions de francs). Ce document ne prend pas directement en compte les fameuses "synergies" attendues du rachat de Liberty Surf par l’italien Tiscali. À ce sujet, une note de travail émanant cette fois de la banque Rotschild, montre que les deux entreprises espèrent - grâce à leur fusion - réaliser près de 85 millions d’euros d’économies en 2001 (plus de 550 millions de francs). Ce chiffre, proche de celui évoqué par Renato Soru, PDG de Tiscali, le 8 janvier dernier, laisse perplexe. "Pour moi, Tiscali et Liberty Surf, c’est simplement de l’empilement d’audiences. Je ne vois pas bien comment ils peuvent dégager 80 millions d’euros de synergie", observe un autre analyste financier d’une banque parisienne.
Liberty Surf devra revoir son train de vie à la baisse
Reste que Renato Soru, réputé pour sa gestion pointilleuse, a donné quelques indications sur les sources d’économie. Tiscali - très centré sur les infrastructures - exigera probablement de Liberty Surf qu’il abandonne sa logique de portail Internet. Ce qui implique, notamment, d’acheter le contenu du site à des prestataires extérieurs, plutôt que de le faire produire par les équipes de Liberty Surf... Quoi qu’il en soit, le FAI français - qui reste trois fois plus petit que Tiscali mais dépense autant d’argent - devra certainement revoir son train de vie à la baisse. Plus prompt que Liberty Surf, Tiscali n’aura d’ailleurs pas attendu le mois d’avril pour publier ses résultats. Le FAI italien enregistre pour 2000 un Ebitda négatif de 277 millions de francs. De son côté, le hollandais World Online, racheté lui aussi par Tiscali, a annoncé une perte Ebitda de 2,6 milliards de francs pour cette même période. Au total, le nouvel ensemble Tiscali affiche un Ebitda négatif de près de 3,8 milliards de francs. Au-delà du " simple empilement d’audiences ", Tiscali devra prouver qu’il n’est pas un simple empilement de pertes.