Dossier réalisé par Sébastien Gesell, Photos Pierre-Emmanuel Rastoin
Les robots font toujours rêver les Japonais. À côté du succès populaire remporté par des gadgets comme le chien Aibo, dans
les labos, les chercheurs espèrent toujours créer l’humanoïde idéal.
Robots et cons à la fois
Même s’ils jouent à la baballe avec de belles visières fumées,les robots sont encore loin de ressembler à leur idéal : l’homme. Qu’importe, les chercheurs japonais continuent à y croire.
Il est plus sage qu’un chien. Plus propre qu’un chat. Et il ne demande ni à être promené, ni à partager les restes : pour le Japonais, le robot n’a presque que des qualités. Du Tamagochi à l’Aibo, le consommateur Nippon a toujours fait honneur à ces compagnons électroniques plus ou moins primaires. Avec un regret, quand même : pourquoi ne parlent-ils pas ? Pourquoi ne se tiennent-il pas debout ? Pourquoi sont-ils incapables de sortir une bonne blague au bon moment ? Bref, pourquoi sont-ils si peu semblables à nous ? Bonne question. Dont la réponse est proche : dans les laboratoires, les prototypes se rapprochent doucement de l’idéal robot. Même si leur humour laisse toujours à désirer.
Quartier des affaires d’Aoyama, à Tokyo. Un immeuble imposant, siège de la prestigieuse firme Honda. Yuji Hatano, la quarantaine posée, travaille à la communication de la branche robotique. Et sa tâche n’est pas simple : expliquer Asimo. Advanced Step in Innovative Mobility. Un projet ultra médiatique, initié par la cellule de recherche de Honda, qui remonte à 1986. Son objet : inventer la mobilité du siècle à venir. Sacré programme : « Nous savons créer des deux roues et des voitures, commence Hatano. Faire voler des engins ne nous pose pas de problème. Alors nous nous devions d’innover en redéfinissant un autre type d’objet lié au mouvement : nous avons pensé à reproduire la marche humaine... » Asimo est donc devenu un humanoïde d’un mètre vingt à peine. Une sorte de gamin habillé en cosmonaute.
De vrais garnements
À la première rencontre, on ne peut s’empêcher de sourire, et de ressentir une forme de sympathie pour ce nain d’acier et de plastique. Il n’y a pas de quoi : il n’est pas vraiment drôle. Pour Honda, qu’on puisse le trouver amusant est même presque vexant. Il était apparu, un moment, sans sa visière, avec une expression du « visage » qui lui donnait des airs de jouet. La firme s’est empressé de corriger l’erreur, avec une visière fumée très sérieuse, mais plus conforme à la volonté de la marque. Ici, on pense « utilitaire », pas ludique. Après tout, Asimo est le fruit de longues années de recherche. Ce n’est pas un jeu. D’ailleurs, qui pourrait y jouer ? S’il est capable de gravir des escaliers, de s’arrêter et de faire demi-tour sans tomber, il faut encore deux opérateurs (une bonne douzaine d’heures de formation quand même) pour le piloter : le premier pour surveiller le bon fonctionnement de la mécanique et le niveau d’énergie, l’autre pour la manipulation, avec un ordinateur portable muni d’une manette de jeu et un casque équipé d’un micro pour les commandes vocales. Pas évident. Pas ludique en tout cas.
Surtout que l’engin n’est pas causant. Il ne répond qu’à des messages très simples : « arrête-toi », « baisse-toi », « tourne »... Honda compte sur des développeurs tiers pour augmenter son vocabulaire et sa capacité de compréhension. Aujourd’hui, il n’entend rien du tout quand un enfant de cinq ans, témoin de la démonstration, ne peut s’empêcher de manifester son enthousiasme : « Maman, un robot ! Un robot ! » Il faut que l’opérateur, du bout de la manette, commande à la machine de s’approcher de l’enfant. Tétanisé de peur et de bonheur mélangés, le petit garçon regarde l’humanoïde pas plus grand que lui. Quand, toujours commandée à distance, Asimo prend doucement l’enfant par la main, on croit qu’il va se passer quelque chose, que la machine n’est pas aussi froide et sans vie qu’elle paraît. Mais ses efforts ont un prix : les batteries sont à plat. En une dizaine de minutes, l’engin est hors service sans un câble d’alimentation. Et encore : il faut interrompre la séance pour cause de surchauffe... Honda a bien compris qu’Asimo n’est pas encore prêt pour les 35 heures : ils veulent déjà le reléguer au musée ! Enfin, pas tout à fait : « Dans les mois à venir, explique Yuji Hatano, nous voulons le déposer dans des musées ou des lieux d’exposition mettant en avant les nouvelles technologies. Ce sera une vitrine de notre savoir-faire. » Sage décision : débranché, quand on ne peut que supputer de ses qualités, Asimo est encore plus impressionnant...
Le robot bouge
Ne soyons pas trop médisants : quand le chien Aibo 1, de Sony, est apparu, il y a deux ans, il ne dépassait guère la demi-heure d’autonomie. Son grand frère, Aibo 2, sorti en décembre 2000, connaît un succès incroyable : au total, 40 000 commandes passées ! Du coup, Sony, devenue LA marque des robots, a continué ses recherches. Dans l’immeuble n°3, au siège du géant de l’électronique, dans le sud de Tokyo, Tatsuzo Ishida, 53 ans, n’est pas homme à prendre le sujet à la légère. Le visage sévère, le costume sombre, l’homme est, depuis quatre ans, le project leader du projet SDR-3X. Et pas autre chose : il avoue ne pas beaucoup s’intéresser ni à Internet ni aux autres technologies occupant actuellement le devant de la scène. Son projet, à l’écouter, changera la face de l’industrie du loisir du XXIe siècle. Et il a peut-être raison : en novembre dernier, au Salon Robotex de Tokyo, il avait fait sensation avec une démonstration de trois garnements électroniques dansant sur une musique techno. Pour le visiteur se préparant à la rencontre avec la star robotique, l’émotion est bien sûr assez forte. SDR-3X s’approche, encadré par deux ingénieurs. Il est dissimulé dans la mallette en aluminium qui lui sert d’écrin. Déception : le modèle présenté avec grand soin est hors d’état de fonctionner. Tout ça pour ça...
Jeux de balle
Du coup, il faut croire Tatsuzo Ishida sur parole quand il nous assure qu’Alex le robot bouge, est capable de taper dans un ballon de foot, et même de danser. Enfin, quand on l’a programmé pour cela... Son sens du mouvement reposerait sur 24 articulations motorisées par de minuscules moteurs électriques. Un petit exploit : les contraintes subies par les articulations nécessitent des moteurs dotés d’un couple et d’une réactivité élevés, qui n’existent pas chez les fournisseurs actuels. Tatsuzo est très fier de son bébé. Et l’on est prêt à le croire : après tout, la cellule SDR (Sony Dream Robot, tout un programme) est une subdivision de la section Digital Creature Laboratory, celle ayant créée Aibo. Et Aibo aussi savait jouer à la balle. Mais n’attendez rien de plus d’Alex et ses copains. Ils ne sont pas plus malins qu’Asimo, leur collègue de chez Honda. Il y a encore du boulot sur ses capacités comportementales. Et, dans tous les cas, on est loin, très loin, d’une solution commercialisable. Que ce soit chez Honda ou chez Sony, on ne veut même pas l’envisager pour bientôt. Même si Yuji Hatano, chez le premier, affirme qu’il « est envisageable que des tâches ingrates et répétitives soient confiés à des humanoïdes », il reconnaît que la version actuelle d’Asimo, au-delà même de ses capacités techniques, a été jugée trop glaciale et trop impersonnelle pour, par exemple, assister des infirmières dans les soins aux malades. Exemple extrême ? Même pas : Matsushita, autre concurrent, envisagerait d’ouvrir une maison de retraite où le robot occuperait une grande place dans la distraction et le suivi des patients.
Couper le son
Asimo devra sans doute se trouver une autre fonction que les relations humaines. D’autant que son prix potentiel, aussi, a un côté glacial et impersonnel (du moins pour le commun des mortels) : l’équivalent de cinq voitures ! Pas un problème pour Honda qui ne cache pas sa cible : les pros, rien que les pros. Pas exactement le positionnement de son concurrent Sony, qui se veut délibérément grand public et ludique. Enfin, quand il le pourra pour SDR-3X : Nobuyuki Ideï, le président de la firme, a reconnu que, s’il fallait commercialiser l’humanoïde aujourd’hui, il coûterait le prix d’une voiture familiale. Encore un peu cher pour une vente en grande surface... En clair : si vous rêvez d’un robot, il vous faudra plutôt regarder vers les modèles présentés au Salon du jouet, en mars dernier, à Tokyo Big Site. Signe de la tendance, les humanoïdes y tenaient aussi la vedette. Même si, commercialement, c’est encore le chien Poo-chi de Sega qui est le champion : avec plus de 10 millions d’exemplaires vendus dans le monde, ce robot à la technicité modeste, mais abordable, écrase tous les autres. Même en Europe : « Le jeune consommateur est attaché à l’interactivité avec son jouet », dit Christine Pagini, responsable de l’antenne française de Tiger Electronics, distributeur du chien Poo-chi et du chat Miou-chi. « Nous répondons à cette attente en lui fournissant de l’émotion. Nous travaillons avec des sociologues afin de définir et cerner les envies de nos consommateurs. » Les envies avouées, comme les désirs refoulés : le bébé robot que Tiger Electronics envisage de lancer d’ici à l’année prochaine n’est pas vraiment un humanoïde tel qu’on le voit dans les labos, mais il est censé posséder un potentiel susceptible d’attendrir la jeune femme japonaise comme la petite fille européenne. Un robot baigneur...
« Nous attendons une explosion de ce marché d’ici deux à trois ans », garantit Christine Pagani. Elle est sûre d’elle. Tout cela va grandir, se développer. Se reproduire ? Quand même pas. Même si deux robots animaux, confronté l’un à l’autre, finissent par interagir et se mettent à piailler ensemble ! Des onomatopées électroniques qui, on nous le promet, devraient envahir notre quotidien. Il faudra s’y faire. En se disant qu’il y a quand même un avantage (mais un seul) par rapport au chien : si on veut du calme, on peut toujours couper le son...