La seconde édition du colloque international E-Poetry, entièrement consacré à la poésie numérique, aura lieu à Morgantown (West Virginia) aux Etats Unis, du 23 au 26 avril 2003. Une occasion pour les poètes numériques français de confronter leurs approches à celles de leurs homologues américains.
Loss Pequeño Glazier, original créateur du festival américain E-Poetry (DR)
Conçu comme trois jours de happening, d’exposés théoriques et de lectures pour rendre la poésie numérique plus lisible, E-poetry est né en 2001, à Buffalo (Etat de New York). Son fondateur est Loss Pequeño Glazier, qui dirige l’Electronic Poetry Center de l’université de Buffalo et pratique lui-même la poésie numérique.
Cette année, le festival réunit une quarantaine d’artistes internationaux (Américains, Brésiliens, Allemands, Anglais, Français...), qui confronteront leurs différentes approches littéraires. Par exemple, l’Autrichien Jörg Piringer joue sur l’animation et le son, alors que le nouveau collectif Transitoires observables, représenté par les Français Philippe Bootz et Jean-Pierre Balpe et le Néerlandais Patrick Burgaud, intègre la programmation informatique au coeur de ses créations.
Ces "écoles" sont représentées au sein même de la scène française, où les pionniers sont vus comme des puristes, par rapport aux auteurs plus récents, moins intéressés par la partie informatique de la création.
L’illisible et l’invisible
Pour Philippe Bootz, ces différents courants sont nés avec la démocratisation d’Internet : "On a vu apparaître une nouvelle génération d’auteurs très intéressants, qui utilisent Flash ou la vidéo pour animer la poésie. Mais ils s’éloignent de l’inspiration avant-gardiste. Pour eux, l’ordinateur est juste un support, il ne fait pas partie de leur processus de création", explique Bootz, qui a fondé ALIRE, la première revue de poésie électronique, en 1988.
Ce qui intéresse Bootz dans sa démarche artistique, ce n’est pas l’objet littéraire visible sur écran, mais l’idée de gérer tout le processus électronique qui se trouve derrière, l’écriture informatique en tant que telle. De sorte que même la lecture soit contrôlée par l’auteur, qui intègre ainsi le public au coeur de son dispositif. Pour lui, la partie "invisible ou illisible" qui vient se nicher dans les programmes fait elle-même partie de l’oeuvre.
C’est pour expliciter cette orientation que Bootz et trois collègues poètes numériques viennent d’ouvrir Transitoire observables. Ce site est né à l’occasion des Nuits poétiques de Poitiers, le 19 mars dernier, et Bootz compte sur sa participation à E-Poetry pour s’ouvrir à un public plus vaste, et international.
Sur Transitoires observables, on trouve essentiellement des textes théoriques et une série d’oeuvres d’Alexandre Gherban. Mais Bootz promet bientôt d’autres documents pour mettre à jour la démarche du regroupement de "façon plus ludique".
A E-Poetry, face aux poètes qui se considèrent aussi comme programmateurs, une partie de la nouvelle génération française viendra défendre son approche, qui accorde moins de place aux outils informatiques.
Sortir la poésie du livre
"Notre démarche n’est pas forcément contradictoire avec celle des pionniers", précise Julien d’Abrigeon, auteur du site Tapin.free.fr et modérateur de la liste de diffusion e-ecriture, consacrée à la poésie contemporaine numérique. "Nous avons la même volonté de sortir la poésie du livre. Mais nous ne sommes pas des programmateurs, nous utilisons des outils déjà présents. Nous les utilisons au service de la poésie : je ne vais pas utiliser du Flash pour faire exploser un mot juste pour faire joli. Mais si ce mot est ’Big Bang’, là, ça prend du sens", explique l’artiste.
"Je ne devrais peut-être pas le dire, mais il m’arrive aussi d’écrire sur le papier ! Numériques ou non, nous sommes avant tout des poètes contemporains !", revendique Julien d’Abrigeon, pour qui les divergences de point de vue de la scène française "ressemblent à des querelles de clochers".
A E-Poetry, anciens et modernes se retrouveront dans la célébration de leur art : "L’essentiel, c’est que la poésie numérique soit visible, résume Julien d’Abrigeon. Le festival permettra sûrement des échanges passionnants entre nos théoriciens Français et les Américains, du Nord comme du Sud... D’ailleurs, les Brésiliens sont très forts pour mêler l’image à la poésie...", conclue le poète, un brin narquois.