L’accord sur la santé et la propriété intellectuelle signé hier réaffirme le droit des pays pauvres à fabriquer des médicaments génériques en cas d’urgence sanitaire. Mais reste trop flou.
Mercredi 14 novembre, la conférence de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) à Doha (Qatar), s’est terminée par l’adoption de deux textes. Le premier fixe le cadre pour le prochain cycle de négociations commerciales multilatérales qui doivent s’étaler d’ici au 1er janvier 2005 au plus tard. Le second, plus court mais d’une importance vitale, traite spécifiquement des problèmes de santé publique et des dispositions de l’accord TRIPS (trade-related aspects of intellectual property rights, c’est-à-dire aspects liés au commerce dans les droits de propriété intellectuelle). Les négociations pour parvenir à ces deux textes ont été laborieuses et ont retardé d’un jour la clôture de sommet de Doha, qui devait se terminer le 13 novembre. Et malgré ces prolongations, le texte sur les TRIPS et la santé laisse un goût d’inachevé.
Consensus mou
La déclaration finale adoptée, dont chaque mot semble avoir été débattu pour obtenir l’accord de tous les membres de l’OMC, est pour le moins alambiquée. Elle reconnaît, tout d’abord, la gravité des problèmes de santé publique affectant les pays en développement et les pays les moins avancés (PMA), tout particulièrement en matière de SIDA, de tuberculose, de malaria et d’autres épidémies. Elle en déduit que l’accord TRIPS de l’OMC doit prendre en compte ces problèmes. Dans le point suivant, elle admet l’importance de la protection de la propriété intellectuelle pour favoriser le développement de nouveaux médicaments. Tout en reconnaissant les inquiétudes que peut susciter l’impact sur le prix des médicaments de la législation sur les droits de propriété intellectuelle. Jusque-là, rien que du très consensuel, difficilement contestable.
Droits réaffirmés
Le quatrième article du texte est déjà plus engageant, puisqu’il stipule que l’accord sur les TRIPS ne doit pas empêcher les Etats membres de l’OMC de prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé publique dans leur pays. Et que ces Etats peuvent donc légitimement exploiter les flexibilités prévues dans l’accord sur les TRIPS. Premièrement, tout pays en situation d’urgence sanitaire peut délivrer une « licence d’office » à un laboratoire national pour qu’il fabrique une version générique (et donc moins chère) d’un médicament encore protégé par les règles de propriété intellectuelle. En outre, chaque pays est libre de déterminer lui-même ce qu’il considère comme une situation d’urgence sanitaire. Enfin, en utilisant ce droit, un pays ne s’expose pas à une procédure devant l’OMC pour lui infliger des sanctions commerciales. Voir ces droits rappelés est une bonne chose, mais ce n’est pourtant pas une nouveauté. Avant même cet accord, les pays pauvres avaient la possibilité de recourir à des licences obligatoires, mais aucun n’en avait fait usage, de peur de représailles commerciales ou financières.
Du flou sur les importations
Par ailleurs, le texte adopté hier ne résout en rien le problème des pays ne disposant pas des capacités scientifiques et de production pour fabriquer leurs propres médicaments génériques. Pour ceux-là, les libertés mentionnées ci-dessus sont, de facto, inexploitables. Or, pour l’instant, ils n’ont pas le droit d’importer des médicaments génériques sans encourir de sanctions. Et les laboratoires pharmaceutiques, déjà opposés au système des « licences d’office », comptent bien se battre pour maintenir la réglementation en l’état. A Doha, les membres de l’OMC n’ont donc pas réussi à se mettre d’accord sur cette question, les Etats développés, Etats-Unis et Suisse en tête, relayant le point de vue des laboratoires privés. Du coup, le compromis adopté ne fait que repousser le problème, donnant comme instruction au Conseil pour les TRIPS de « trouver promptement une solution d’ici la fin de l’année 2002 ». Autant dire que tout reste à faire.
Interprétations multiples
De nombreuses organisations militantes, comme le Consumer Project on Technologies, se sont réjoui de voir réaffirmer le droit des pays pauvres de s’affranchir des brevets des grands laboratoires en cas d’urgence sanitaire. Dans une interview au New York Times, James Love a ainsi déclaré que ce texte « va au-delà du SIDA, de la malaria et de la tuberculose ». A l’entendre, les pays en voie de développement pourraient donc recourir aux exceptions aux TRIPS pour fabriquer des médicaments contre le diabète, l’asthme ou le cancer. Malheureusement, les termes utilisés pour caractériser le type d’urgence sanitaire justifiant l’emploi de « licences d’office » sont suffisamment flous pour que les laboratoires pharmaceutiques adoptent le point de vue inverse. Pour le groupement des chercheurs et des fabricants pharmaceutiques américains, l’accord ne couvrirait que les épidémies hautement contagieuses, dévastatrices, et non les maladies chroniques. En entendant ces premières réactions, on peut déjà craindre que l’accord obtenu hier à l’arrachée ne résoudra rien, déclenchant simplement une guerre des interprétations pour les années à venir.
Lobby des chercheurs et fabricants pharmaceutiques américains:
http://www.phrma.org
Consumer Project on Technologies:
http://www.cptech.org