Annoncé à grands renforts de pub et mis à quai le 7 juin, le train de l’Internet censé "démocratiser l’usage du Réseau" n’oublie pas de remettre le citoyen à sa place de consommateur.
Edgar Pansu - |
Cent cinquante mètres de long (soit l’équivalent d’un stade de football), trois wagons spécialement décorés pour cette "
première mondiale", 40 hotesses : bienvenue dans le train de l’Internet. Affrété par des grands noms de l’épicerie, de la cyberbanque, de l’électroménager et de l’Internet en général, avec le soutien de quelques ministères, le convoi doit sillonner la France jusqu’à la fin juin. Pour "
faire découvrir le monde de l’Internet à un large public et contribuer à en démocratiser l’accès". Première étape gare Montparnasse à Paris, au bout du quai 24. Mieux vaut s’adresser à l’accueil. La SNCF, partenaire, n’a pas jugé bon de signaler l’événement mondial.
La sono assure
Edgar Pansu - |
Après avoir contourné quelques caisses de chips entreposées sur le quai, le visiteur a droit à une entrée grand genre : circuits électroniques peints sur les murs et cylindre en rotation, semblable aux tambours de machine à laver (effet
2001, l’Odyssée de l’espace garanti). Le corridor débouche sur un buste de Marianne. La sono assure : "
Citoyen internaute, bienvenue dans l’administration du futur." La télévision et l’ordinateur encastrés dans les murs, hélas, ne fonctionnent pas. Une copie d’écran imprimée sur une feuille A3 est collée au plafond, assurant la promotion du site service-public.fr. Les salles suivantes poursuivent la présentation de la "
révolution" internet : des mannequins disposés derrière des ordinateurs factices figurent une classe, le prof au tableau arbore un magnifique sweatshirt frappé de la mention "
University of Train de l’Internet".
Matraquage
Les passagers s’échangent quelques sourires furtifs, un peu désarçonnés par cette féerique attraction. Une antillaise proche de la quarantaine roule des yeux étonnés. Elle vient de prendre un abonnement à Internet et a appris sur Canal + qu’elle pourrait bénéficier ici d’une initiation gratuite d’un quart d’heure. Invitée à souscrire aux services d’un "hypermarché bancaire" - 500 francs sont offerts pour l’ouverture d’un site - elle a ensuite découvert une télévision prétendue interactive à 5 730 F (hors communications téléphoniques), s’est vu proposer la recherche d’un job par Internet, a assisté patiemment à la présentation du portail de l’administration française et de "solutions intégrées pour les associations". Mais elle ne sait toujours pas comment naviguer sur Internet. Après s’être servie à un distributeur d’eau (dont le fabricant a pris le soin de laisser des plaquettes publicitaires), elle finit par trouver les gentils démonstrateurs, qui la mènent sur le moteur de recherche Google, après quelques minutes de promotion pour le portail en culottes courtes qui les emploie.
Internet prémâché
Les slogans fusent : Truquissimo ? "C’est l’Internet à haut débit", répond une hôtesse à un visiteur. Le même s’est vu affirmer sur le stand de la télé interactive que "l’ADSL, c’est pas aussi rapide qu’on le dit". Logique, la télé en question ne fonctionne qu’à vitesse lente. Un peu plus loin, l’hôtesse d’une société de grande distribution vante sa galerie de portails. "90 % des spectacles peuvent être réservés sur notre site." Un jeune homme teste avec l’Olympia : pas de chance, la salle parisienne doit faire partie des 10 % restants. L’Internet prémâché a ses failles. Au sortir du wagon, une jeune canadienne manifeste sa perplexité devant cette foire commerciale. ...tudiante en technologies éducationnelles, elle n’en revient toujours pas de l’offensive déployée à l’entrée du convoi par la banque internet. Quant à l’internaute qui est allé consulter le site de l’événement, il se demande avec dépit où sont passés certains des partenaires annoncés, comme l’Elysée ou Casimirland, le site officiel du héros de l’Ile aux enfants. Ils ont peut être raté le train ?