Pour ce chimiste, la clause de conscience pour les scientifiques et ingénieurs permettra de prévenir les catastrophes sanitaires
Le 25 septembre prochain, à Genève, une conférence débattra d’un projet de convention internationale sur la clause de conscience pour les scientifiques et les ingénieurs. Cette disposition a pour but d’assurer la protection juridique de la responsabilité de ces derniers. La clause de conscience accorderait à toute personne "à responsabilité scientifique ou technologique", dans une entreprise privée ou publique, le droit d’informer un organisme indépendant de toute activité violant le principe de précaution, les règles de santé publique, la protection de l’environnement, l’éthique ou la déontologie. En retour, l’organisme s’engagerait à garantir l’anonymat de l’informateur.
André Cicolella, chimiste à l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris), interviendra lors de cette conférence en tant que président de la Fondation sciences citoyennes. Ce chercheur s’est fait connaître en 1994 en dénonçant publiquement les dangers des éthers de glycol (un puissant solvant dangereux pour la santé). Ses déclarations avaient entraîné son licenciement par l’Ineris. Mais cette décision fut annulée en octobre 2000 après qu’André Cicolella eut saisi la Cour de cassation. Son parcours juridique compliqué pousse aujourd’hui le chimiste à soutenir le projet de clause de conscience, afin de permettre à ses collègues des recours plus simples.
Des systèmes d’alertes existent déjà dans plusieurs pays anglo-saxons. Qu’est ce que ce projet de clause de conscience apporte de nouveau ?
André Cicolella : Effectivement, les pays anglo-saxons ont une large avance sur nous. Les systèmes existants doivent nous inspirer, je pense particulièrement à ce qu’ont pu faire les Allemands ou les Néo-Zélandais. En revanche, dans beaucoup de pays européens et notamment la France, il n’existe aucun dispositif de protection juridique de la responsabilité des scientifiques et des ingénieurs, mis à part quelques clauses propres aux chercheurs fonctionnaires du CNRS.
Si le besoin d’une telle clause est aujourd’hui ressenti, cela est lié à un mûrissement de l’état d’esprit des chercheurs et de la population. En Grande-Bretagne par exemple, cette évolution des mentalités est liée aux nombreux accidents de train. En France, ce changement est également perceptible avec l’exemple de la canicule de cet été. Il y 10 ou 15 ans, les conséquences de cet événement seraient passées inaperçues, alors qu’aujourd’hui, elles ont failli engendrer une crise nationale. L’idée d’une clause est dans l’air du temps, à l’image du principe de précaution que les sociétés appliquent de plus en plus.
Mais il existe aujourd’hui beaucoup de certifications et d’organismes de contrôle dans le domaine de la recherche. N’est-ce pas suffisant pour assurer des comportements corrects de la part des instituts à vocation technico-scientifique ?
En fait, ça n’a pas de rapport. Les certifications et les organismes de contrôle assurent un suivi technique. Dans le cas de la clause de conscience, il s’agit d’un contrôle éthique et déontologique. Les comités d’éthique sont très à la mode et apparaissent ici ou là : entreprises privées, publiques, administrations. Mais la conscience collective semble croire qu’ils sont capables de s’autocontrôler, ce qui n’est pas vrai. Il doit exister un contrôle de ces comités d’éthique. Il faut que ce soit le public qui assure ce contrôle par le biais d’un comité, à l’image de ce que peut être la Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés) pour l’informatique.
L’idée que nous avançons est donc de construire, au niveau national ou international, une institution qui soit chargée des recours déposés par des scientifiques et des investigations lorsqu’une malversation est signalée. Par ce crible, il sera possible de contrôler l’implication sociale de l’activité des établissements technico-scientifiques. Cette démarche demande une étude juridique importante afin de déterminer les possibilités d’action et d’investigation. Les juristes doivent également prévoir des dispositifs de contrôle en cas de dénonciations abusives.
Le texte de la clause concerne les "personnes à responsabilité scientifique ou technologique". Pourquoi ne s’étend-il pas à toute personne travaillant dans un organisme à vocation scientifique ?
La question mérite, en effet, d’être posée. Pour l’heure, le public auquel s’adresse la clause est celui des scientifiques. C’est pourquoi le texte ne mentionne qu’eux. Toutefois, la manière dont la clause devrait être mise en place n’empêche a priori aucune évolution concernant l’étendue de la clause.
A ma connaissance, il n’existe aucune opposition à la version première du texte [touchant seulement les scientifiques et les techniciens, Ndlr]. Son application devrait donc être rapide et les éventuelles modifications ne devraient pas poser de problème sur le principe. Mais les démarches administratives pour y parvenir peuvent être beaucoup plus longues. Si cela était simple, la clause serait déjà en place depuis longtemps.
Le programme de la conférence sur la clause de conscience pour les scientifiques et ingénieurs:
http://www.apsab.span.ch/clc/c_prog...
Le site de la fondation sciences citoyennes
http://sciencescitoyennes.org/
Le site de l’INERIS:
http://www.ineris.fr/