Si le nombre de foyers connectés baisse aux ...tats-Unis, c’est la faute à la faillite du modèle gratuit, explique une étude récente. Pas si sûr. Et on ne peut pas en tirer des conclusions pour l’Europe.
Une étude de Telecommunications Reports International Inc (TRI). publiée mardi dernier estime que le nombre de foyers américains connectés a diminué de 0,3 % pendant le premier trimestre 2001, pour la première fois depuis que le Net existe. Ils ne sont "plus" que 68,5 millions de foyers en ligne. TRI met ce déclin sur le compte des faillites des fournisseurs d’accès gratuits en Amérique, d’Altavista à Bluelight, qui auraient privé de Web d’une grande partie des nouveaux internautes. Un autre chiffre semble confirmer cette analyse : le nombre de ménages qui paient leur connexion a continué de croître de 8 %. Il faut croire que quelques déconnectés ont retrouvé le chemin du Net chez les grands réseaux payants.
"Le marché américain n’a plus une croissance très forte, analyse Jean-Christophe Le Toquin, délégué de l’Association des fournisseurs d’accès. C’est normal : avec la moitié de la population connectée, on arrive à la saturation. Si vous enlevez les classes défavorisées, les technophobes, les jeunes, les personnes âgées, qui ne seront pas des internautes, le taux d’équipement est déjà énorme. C’est différent en Europe, où des pays comme la France, l’Italie, sont encore en phase d’équipement." En d’autres termes, Jean-Christophe Le Toquin doute que ce ralentissement soit uniquement le fait de la faillite du modèle d’accès gratuit aux ...tats-Unis. C’est plutôt une question de cycle de maturation commerciale d’une technologie.
Un déclin ?
Cette étude, réalisée à partir du nombre de comptes Internet relevés chez les fournisseurs d’accès, le laisse par ailleurs sceptique : "D’accord, il y a eu quelques disparitions de gratuits. Mais j’aimerais bien savoir comment sont comptabilisés leurs abonnés. En France, certains fournisseurs d’accès gratuits comme Free déclarent le nombre de personnes qui ont souscrit au service depuis son ouverture, alors qu’il faudrait rayer les comptes inactifs depuis 40 jours." En effet, le non-réabonnement d’un internaute de toute façon virtuel, puisque inactif depuis des mois, n’est pas une grosse perte pour le Réseau. Autre détail notable : souvent, les services gratuits font office de deuxième, voire de troisième ou quatrième compte pour un internaute chevronné. La suppression de ces accès bis ne va pas couper du Net ce public gourmand. En définitive, le déclin du nombre de comptes ne signifie pas nécessairement celui du nombre de foyers connectés, ce qui contredirait l’analyse de TRI.
La gratuité en déroute en Europe ?
En revanche, cette étude remet sur le tapis l’éternel débat sur le modèle économique de l’accès gratuit. C’est le seul véritable modèle inventé par les Européens. Son précurseur est le Britannique Freeserve, qui a vu dans la gratuité de l’abonnement un moyen de faire avaler la pilule des télécommunications locales trop chères (tarifées à la minute, alors que certains ...tats américains pratiquent le forfait). Les Américains ont copié ce modèle, mais aujourd’hui ils déchantent. Ce qui les amène à penser que les Européens ont fait fausse voie, et vont, eux aussi, revenir à de bons vieux services payants.
"À moyen terme, c’est-à-dire 2 ou 3 ans, le modèle gratuit va disparaître, assène Dan Stevenson, analyste londonien du cabinet de conseil américain Jupiter MMXI. C’est impossible de gagner de l’argent comme ça. D’ailleurs, les gratuits commencent à essayer de faire payer leurs abonnés. Freeserve a déjà fait passer le nombre de ses abonnements payants de 25 à 30 %." Tous les grands de ce secteur en pleine phase de concentration sont des services payants, souligne l’analyse : T-Online, France Telecom, AOL... Désormais, les fournisseurs d’accès gratuits européens vont tourner casaque et instaurer une "billing relationship", une relation commerciale basée sur la fourniture de contenus et de services tels que le téléchargement de fichiers musicaux.
Gratuit à l’européenne, ou forfait à l’américaine ?
La disparition des gratuits ne freinera pas l’expansion d’Internet en Europe, affirme-t-il : "L’avenir, c’est la connexion forfaitaire illimitée, que nous pratiquons déjà en Grande-Bretagne. En France, en Allemagne, vous en profiterez bientôt. Et vous ne ressentirez plus le besoin d’un abonnement gratuit." Selon Jean-Christophe Le Toquin, pourtant, il ne faut pas s’attendre à ce que la formule d’interconnexion illimitée de France Télécom aboutisse sur une offre grand public à 180 francs par mois en septembre, quoiqu’en dise l’Autorité de régulation des télécommunications : "Les tarifs proposés ne sont pas économiquement viables", regrette le délégué. Les gratuits n’ont pas perdu leur raison d’être, du moins en France, croit-il : "Ni Free, ni LibertySurf n’ont liquidé leur formule gratuite lorsqu’ils ont offert du payant. Après tout, ils ont construit leur identité sur le gratuit. Et ce qui coûte cher, c’est de recruter de nouveaux membres : pourquoi les perdre ?"
Un peu de gratuit, de plus en plus de services payants. La recette a jusqu’ici fonctionné pour attirer de nouvelles recrues à Internet. On verra bien ce qui se passera lorsque le taux d’équipement arrivera à saturation.