Jean-Pierre Balpe, directeur du département Hypermédia de l’université de Paris VIII, est agrégé de Lettres classiques. Son générateur automatique de textes en a surpris plus d’un...
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Quand et comment avez-vous découvert Internet ?
Presque à son origine, avant même que cela s’appelle Internet, à partir du réseau ouvert aux laboratoires universitaires (vers 1988-1989, si je ne me trompe).
Pourquoi vous êtes-vous impliqué dans Internet ? Quel a été le déclic ?
L’intérêt était, dès l’origine, évident pour des chercheurs, puisque ce réseau permettait un échange en temps réel, quelle que soit la distance entre laboratoires, ce qui facilitait déjà grandement la vie soit pour préparer des conférences, pour constituer des jurys de thèse, pour sélectionner les candidats à des colloques, etc. Par contre, dès que la norme HTML est apparue, avec ses possibilités d’interfaces nouvelles, il m’est assez vite apparu que cela permettait des moyens de communication inédits, notamment dans le domaine de l’art. J’avais alors monté une petite équipe éditoriale qui avait lancé une revue Chantiers. Malheureusement, nous n’avons pas eu assez de temps pour la faire vivre sérieusement.
Quand avez-vous compris que cela allait vraiment décoller en France ?
Je ne pourrais le dire avec précision. Disons vers 1992-1993, mais je n’ai pas de référence précise sur ce point. Il faudrait pour cela que je retrouve quand Chantier avait été créé.
Comment avez-vous vécu la période automne 1999-printemps 2000 ? Que faisiez-vous ?
Avec un certain recul et pas mal de scepticisme. Par exemple, un ami investisseur voulait que je crée un site commercial avec lui. Je n’ai pas fait preuve de beaucoup d’enthousiasme, au point que, malgré sa volonté d’aller vite, nous n’avons rien fait. Et lorsque nous devions démarrer, le retournement s’était amorcé... Depuis, il a préféré investir dans l’hôtellerie. Pour ma part, j’étais avant, pendant et après directeur du département hypermédia de l’université Paris VIII et créateur d’œuvres numériques : je persiste...
Comment analysez-vous aujourd’hui cette frénésie de huit mois ?
Comme celle qui a marqué l’apparition du chemin de fer : l’homme a besoin d’espoir, de rêves et de nouvelles frontières à conquérir. L’emballement de certains penseurs, celui, suiviste, de la presse toujours à la recherche de "sensationnel", ont fait le reste : les détenteurs de capitaux se sont fait aveugler – il faut dire qu’ils ne demandent toujours que ça : IA, biotechnologies, etc. Le déraisonnable l’a donc emporté et a masqué le raisonnable, c’est-à-dire l’intérêt majeur pour l’avenir de nos sociétés de la numérisation de l’information.
Quel a été, selon vous, le signal de la chute des dotcoms ?
Je ne suis pas assez les analyses financières pour vous répondre. Il me semble simplement qu’à force de perdre de l’argent et de ne pas pouvoir imaginer en gagner, les investisseurs ont commencé à douter. Or, comme toute économie repose avant tout sur l’espoir, l’illusion et la confiance, tout ceci s’est arrêté dans sa progression et a fini par retomber.
Croyez-vous toujours autant à Internet ?
J’ai déjà répondu à cette question...
Croyez-vous au commerce en ligne ? Croyez-vous à l’avenir du Web non marchand ?
Le commerce en ligne existe et se développera lentement. Simplement, il se développera d’autant qu’il saura proposer de nouveaux et réels services et non des gadgets. Les secteurs qui marchent sont de ce type : enchères, voyages, etc. Mais il ne sera peut-être pas celui qu’on attend : j’ai par exemple été très frappé, cet été, de voir que, dans tous les lieux de vacances où j’étais, beaucoup de micro-entreprises (loueurs de vacances, hôtels, vendeurs de produits locaux, etc.) avaient su trouver dans ce vecteur un réel outil de développement. Ceci répond en partie à la suite de votre question, car il s’agit d’un Web marchand mais qui ne répond pas aux modèles centralisés du e-commerce. L’aspect tous-tous du Réseau (peer to peer si vous préférez) est, ici, essentiel. Or, le commerce centralisé (le big business) ne sait pas encore vraiment s’y adapter. Il suffit de lire la presse et notamment les batailles autour de la musique pour s’en convaincre. C’est même un peu surréaliste. Mais j’aurais besoin de plusieurs pages pour développer cela dans le détail.
Comment voyez-vous les années à venir ?
Plus "raisonnables", mais avec un développement constant tant sur le plan technique qu’intellectuel. Il me semble que le Réseau fait désormais partie intégrante de notre civilisation et l’on ne reviendra pas en arrière.
Croyez-vous toujours dans ce qu’on a appelé la "netéconomie" ?
Voir ma réponse ci-dessus.
Quelles vont être, selon vous, les futures grandes échéances et que vont-elles apporter ?
Je ne sais pas s’il y aura de "grandes échéances"... Il y aura des étapes techniques importantes (l’extension du haut débit, par exemple), des évolutions progressives (la loi de Moore), de petites innovations ou de moins petites. Mais Internet (ou ce qui lui succédera, disons la communication tous-tous par réseau) fera de plus en plus partie de notre paysage politique, social, économique, culturel et introduira de réels changements dans tous ces domaines. Il faut qu’une société digère une technique avant de s’en trouver modifiée. Mais cela se produit toujours : une société avec téléphone n’est pas une société sans téléphone, toutes les pratiques en sont affectées, même si l’usager n’en a pas conscience. Je pense sincèrement que nous sommes entrés dans une autre société. Pour le dire un peu vite : une société qui cherche à se cloner de façon numérique. Dans ce cadre, Internet n’est qu’un élément, un élément à valeur symbolique forte, mais un simple élément...