Le journaliste Jean-François Boyer vit depuis 1988 en Amérique latine et vient de publier La guerre perdue contre la drogue.
Quelles sont les technologies les plus utilisées par les trafiquants de drogue latino-américains ?
Les « narcos » ont l’habitude d’utiliser deux outils. Les téléphones portables cryptés d’abord, qui font partie de leur panoplie. Certains montent même des « opérations spéciales » aux ...tats-Unis, pour se procurer des modèles « sûrs » et ils en changent souvent. Plus original, ils placent des balises GPS dans les sacs de cocaïne qu’ils larguent, par avion, près des côtes des Caraïbes ou d’Amérique centrale ou au large de l’Europe. Les vedettes qui sont chargées de récupérer la cargaison sont, elles, équipées de localisateurs, afin de ne pas perdre de temps. Le tour est vite joué.
Ces nouveautés technologiques coûtent cher. A-t-on une idée de l’argent que les « narcos » dépensent pour s’équiper des derniers gadgets ?
Personne ne peut donner de chiffres précis. Tout ce que l’on sait, c’est que le budget téléphonique des « narcos » est illimité ! D’autre part, dans le cas des balises GPS, le rapport coût-investissement est très faible comparé aux bénéfices qu’ils en tirent. Le kilo de cocaïne se vend aujourd’hui à près de 25 000 dollars. Ils ont de quoi acheter des milliers de GPS… L’une des saisies les plus importantes de ces dernières années concernait une tonne de cocaïne, larguée depuis un avion militaire non identifié, au large de Panamá. Les policiers ont découvert un dispositif avec 952 balises, sans compter les localisateurs placés sur les bateaux. Cela représentait une vraie fortune.
Et Internet ?
C’est l’arme absolue des « narcos ». Avec Internet, ils démontrent leur remarquable capacité d’adaptation au monde moderne. Leurs mails sont cryptés avec PGP, certains utilisent aussi la stéganographie [dissimulation d’infos écrites dans une image]. De véritables trafics internationaux sont organisés via le Net. Fin 1999, par exemple, la DEA [Drug Enforcement Agency, agence américaine de lutte contre les stupéfiants, NDLR] a démantelé un réseau qui disposait d’une base internet à Miami. Dans un petit appartement, deux hommes travaillaient 24 heures sur 24. Ils communiquaient avec leurs complices via des chat rooms. Il est impossible techniquement de remonter toute la filière. D’ailleurs, aucun service anti-drogue au monde ne disposent des moyens humains et matériels pour traquer les « narcos » sur la Toile.
Propos recueillis par Marc Fernandez
La guerre perdue contre la drogue, de Jean-François Boyer,
éditions La Découverte, 349 pages,
130 francs, janvier 2001