La philosophie des Lumières nous avait offert, entre autres, la Déclaration des droits de l’Homme et la liberté de la presse, la fin de l’arbitraire judiciaire et le principe de légalité des délits et des peines. Mais à toute lumière son interrupteur. Prenez l’Internet, par exemple. Pour les philosophes de l’interrupteur, le Net, c’est « un danger public : n’importe qui peut y dire n’importe quoi » (Françoise Giroud, Le Nouvel Observateur du 25 novembre 1999). C’est normal, renchérit Philippe Val : « Qui est prêt à dépenser de l’argent à fonds perdus pour avoir son petit site personnel ? Des tarés, des maniaques, des fanatiques, des mégalomanes, des paranoïaques, des nazis, des délateurs (...) » (Charlie Hebdo du 17 janvier 2001). Heureusement, un autre grand penseur de l’Internet, Dominique Wolton, nous apporte la solution : ce qu’il nous faut, c’est « un contrôle centralisé de l’information à l’échelle mondiale par des journalistes, qui répondront de la véracité de toute cette information » (La Vanguardia du 3 janvier 2001).
Recul des libertés
Nous pourrions ironiser à loisir sur la cécité de certains face à ce nouveau média, et n’accorder à leur avis que ce qu’il mérite : indifférence et commisération. Pourtant, les affirmations mal inspirées de nos philosophes de l’interrupteur ne sont pas sans conséquences. Nous leur devons la justification politique d’un certain nombre de reculs des libertés : la remise en cause de la prescription de trois mois pour les délits de presse commis sur le Réseau, le fichage systématique de tout utilisateur de l’Internet, le contrôle par les hébergeurs de l’expression publique... À trop vouloir réprimer le désordre, à ne pas assez craindre l’injustice, la philosophie de l’interrupteur alimente l’incertitude juridique et judiciaire qui pèse aujourd’hui sur l’Internet français. Chaque époque a les philosophes qu’elle mérite.
*Sébastien Canevet est professeur de droit
à l’université de Poitiers et médiateur en
ligne.
sebastien@canevet.com