Le site d’une radio publique américaine diffuse les bandes audio de plusieurs exécutions de prisonniers en Géorgie entre 1983 et 1998. Des documents saisissants.
La scène se passe dans la prison de Jackson, Géorgie, le 12 juillet 1984. C’est un fonctionnaire de l’administration pénitentiaire qui l’a décrite à sa hiérarchie, en direct, par téléphone. Des matons mènent à la chaise électrique Ivon Ray Stanley, condamné à la peine capitale pour un meurtre qu’il jure n’avoir pas commis. Commence alors le rituel morbide. C’est un document glaçant que propose d’entendre MNYC, la radio publique new-yorkaise. Le premier d’une série : 23 mises à mort par électrocution, organisées en Géorgie entre 1983 et 1998, et retransmises aujourd’hui sur le site de la radio. C’est la première fois depuis les années trente, date depuis laquelle les exécutions ne sont plus publiques aux ...tats-Unis, qu’un document aussi polémique est diffusé. Jusqu’à maintenant, on pensait même qu’il n’y avait ni film, ni enregistrements des mises à mort.
Un acte bureaucratique
C’est un avocat, Mike Mears, qui a mis ces bandes à la disposition d’un éditeur. Sur le site internet de MNYC, avant la diffusion de l’enregistrement l’exécution de Stanley, il explique les raisons qui l’ont poussé à dévoiler ces enregistrements administratifs : "Je crois que la banalité de cette bande est plus effrayante que tout ce qu’Hollywood peut produire. Car elle montre combien l’exécution d’un prisonnier en Géorgie était devenu un acte bureaucratique à ce moment là." On doute malheureusement que l’Amérique de Bush montre plus d’empathie aujourd’hui à l’égard des condamnés à mort... L’éditeur des bandes, David Isay, se dit convaincu que partisans et opposants à la peine de mort n’entendront pas l’enregistrement de la même manière. C’est un "document neutre", ose même une journaliste.
Tragédie universelle
Il y a pourtant une tragédie humaine universelle dans ces bandes : celle de vies effacées de manière administrative. Une spécificité qui ressort lors de l’exécution de Stanley, dans la froide description du fonctionnaire, rythmée par le fracas sinistre des lourdes portes qui résonnent dans le couloir de la mort. On devine le condamné marchant jusqu’à la chaise. On lui attache les mains, les chevilles, la tête, la poitrine, scène habituellement dissimulée derrière un rideau, que les témoins de l’exécution eux-mêmes ne voient pas. Puis l’annonce des motifs d’exécution, les derniers mots du condamné. Puis trois volontaires pressent chacun un bouton fatal énonçant chacun le numéro de celui sur lequel il appuie : "3, 2, 1..." On n’entend ni les cris du malheureux, ni le bruit de l’électricité. C’est une exécution "propre", sans accroc. Cinq minutes de silence durant lesquelles on constate la mort, puis le départ du corps. Une vie a été supprimée.
Voyeurisme ?
On dira peut-être que le document excite le voyeurisme. On peut aussi repenser au texte d’Albert Camus, qui dans Réflexions sur la peine de mort (1957) décrit l’état de son père, après qu’il eût assisté à une exécution publique : "Ce qu’il vit ce matin-là, il n’en dit rien à personne. Ma mère raconte seulement qu’il rentra en coup de vent, le visage bouleversé, refusa de parler, s’étendit un moment sur le lit et se mit tout d’un coup à vomir. Il venait de découvrir la réalité qui se cachait sous les grandes formules dont on la masquait."