Alors que le gouvernement américain finance une aide contre la censure des médias en Chine, AOL et Murdoch négocient le droit de diffuser leur télé avec la dictature de Pékin.
En Chine, la censure d’Internet fonctionne à plein régime. Toutes les connexions internationales passent par une dorsale unique, contrôlée par le gouvernement. Dans les cybercafés, les filtres antiviolence, anticapitalisme, antipornographie sont obligatoires. Les fournisseurs d’accès sont responsables du contenu qui transite sur leurs réseaux. Et le gouvernement inonde le cyberespace de sa propre propagande, à travers plusieurs portails très consultés.
Bill Clinton, qui prédisait que le Réseau allait libérer la parole partout dans le monde et renverser les dictatures, se serait-il fourvoyé ? Le Congrès américain a en tout cas décidé de prendre des mesures actives de promotion d’Internet et de la radio contre la censure opérée par Pékin. Objectif : permettre que le programme gouvernemental radiodiffusé Voice of America, qui inondait déjà les pays de l’Est à l’époque de la Guerre froide, puisse atteindre la population chinoise. En gros, voici le raisonnement des Américains : faisons-leur entendre la voix de la liberté, vantons-leur la société de consommation et ils feront la révolution pour devenir comme nous.
Technologie contre technologie
Sur 5 millions de dollars de crédits votés pour l’International Broadcasting Bureau (agence parente de Voice of America, VOA), 800 000 dollars iront à Internet et au multimédia. Une partie de cet argent sera versée à Safeweb, prestataire internet de logiciels de protection de l’anonymat dans lequel a investi la société de capital-risque de la CIA, In-Q-Tel. Safeweb compte déjà un réseau d’une centaine de serveurs proxies, sortes de caches qui répliquent une information et dissimulent la véritable adresse IP des internautes. Pour honorer sa commande gouvernementale, Safeweb achètera une douzaine de nouveaux serveurs proxies, et déploiera sa technologie Triangleboy qui sert à répartir la dissimulation des adresse IP.
L’effet d’annonce est réussi, mais on peut se demander ce que pèsent douze serveurs face au ministère de l’Information chinois. Pékin a pris l’habitude de censurer Voice of America, Human Rights Watch, et d’autres médias "subversifs", mais également de bloquer l’accès aux proxies qui permettent d’y accéder discrètement. Ce qui n’empêcherait pas 25 % des internautes de ce pays de recourir à cette technologie de dissimulation. Toutefois, les requêtes provenant des serveurs Triangleboy sont automatiquement bloquées à leur entrée en Chine. Safeweb prévoit de changer plusieurs fois par jour les adresses IP de ses serveurs Triangleboy pour échapper au censeur chinois. Mais dans cette lutte, c’est technologie contre technologie et le gouvernement chinois utilise, paraît-il, les services de très bons hackers.
Garder l’oseille
Pendant ce temps, Rupert Murdoch et Steve Case se frottent les mains à l’idée de pénétrer le juteux marché de la télé en Chine. Les PDG de Newscorp et d’AOL-Time Warner sont prêts à diffuser une chaîne officielle de Pékin sur leurs bouquets américains, pour toucher l’importante communauté émigrée, en échange d’une petite place sur les ondes de Guangdong, riche province chinoise voisine de Hong Kong. Il n’est pas imaginable que Star TV (Murdoch) et China Entertainment Television (AOL) diffusent des programmes qui déplairaient à Jiang Zemin. Et quand bien même il ne s’agirait que d’émissions de divertissement, on a vite fait de déplaire au pouvoir chinois. Les entreprises capitalistes, anglo-saxonnes, vont donc s’autocensurer pour garder l’oseille. On se souvient pourtant encore des diatribes de Rupert Murdoch, qui parlait de lutte contre le totalitarisme grâce à la télévision par satellite en 1993. Depuis, le magnat a pris l’initiative de retirer la chaîne BBC News de Star TV à Hong Kong, parce que certains documentaires sur la Chine avaient irrité le grand voisin. Voilà qui nous garantit une couverture indépendante des Jeux Olympiques de Pékin en 2008...