En l’absence d’une réelle discussion parlementaire, le forum des droits sur l’Internet a
organisé un débat, mercredi 5 décembre, dans les locaux de la télé Canal Web, sur le volet Internet du paquet "anti-terroriste" ajouté à la loi sur la sécurité quotidienne. Discussions et oppositions.
Lors de son lancement, le Forum des droits sur l’Internet (FDI) s’était soigneusement gardé d’annoncer des thèmes de réflexion sur les sujets en cours de traitement gouvernemental. Autrement dit : le PLSI (projet de loi sur la société de l’information). Mais soucieux de son indépendance et en quête de crédibilité, l’organisme a fini par se pencher sur les dispositions du PLSI reprises dans le paquet "antiterroriste" du gouvernement en organisant un débat, mercredi 5 décembre, dans les locaux de la télévision Canal Web.
Cette discussion intervient après l’adoption du texte, à la va-vite, par les parlementaires, mais avant la publication de ses décrets d’application (en cours d’élaboration) par le gouvernement. Elle prolonge aussi le forum ouvert sur le site du FDI pendant le mois de novembre, qui a enregistré... seulement 30 contributions.
Alibi à la volonté de contrôle
Question posée : le Net a-t-il vraiment joué un rôle dans l’organisation des attentats du 11 septembre aux Etats-Unis ? Les mesures adoptées dans l’urgence (conservation des données de connexion et encadrement de la cryptographie) permettent-elles réellement de lutter contre le terrorisme ? La réponse est NON, en l’absence (malencontreuse) d’un des animateurs du site LSI jolie (qui s’insurge contre les mesures) aura été soutenue le plus clairement par Dominique Moïsi, directeur adjoint de l’Ifri (Institut français des relations internationales). Il estime, de manière très globale, que " le crime technologique est un alibi à la volonté de contrôle " ; que les besoins de coopération internationale, invoqués par le président Bush pour réclamer davantage de cybersurveillance sont un leurre dans la mesure où Europe et Etats-Unis ont choisi de la limiter, par exemple dans des domaines comme le blanchiement d’argent ou la circulation des flux financiers.
Quant à Gilles Manceron, de la Ligue des droits de l’homme, il estime tout simplement que dans le cadre d’une démocratie, cette loi d’exception n’a pas de justification. Représentante des services de police, Catherine Chambon n’aura pas vraiment répondu à la question de l’utilisation du Net par les kamikazes du 11 septembre. Pour elle, ces événements " ont joué le rôle d’un accélérateur ", dans la prise de conscience du danger. Comment ? Mystère.
Il est clair, en tout cas, dans l’esprit de la chef des cyberflics, que les mesures répressives adoptées étant limitées dans le temps (décembre 2002 en théorie), elles feront office d’un test " dont seront tirés des enseignements ". Autrement dit, à défaut de pouvoir justifier réellement leurs besoins, les policiers ont obtenu par voie législative un test grandeur nature.
Illusion technicienne
Plus que la cryptographie, c’est surtout la question de la conservation des données de connexion qui aura fait l’objet du débat. Ainsi Pierre Leclerq, de la Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés), finira-t-il par rappeler, après quelques tergiversations, la position de la Cnil : les données recueillies par les opérateurs pour les besoins de la facturation des connections devraient suffirent aux enquêtes policières.
Cette position, pour l’instant, a été largement ignorée par le législateur. Or, les risques de dérives existent, comme le rappelle l’universitaire Yves Poullet dans sa contribution au forum sur le site du Forum : " Y a-t-il un lien fort et nécessaire entre le moyen mis à disposition de l’autorité policière et la découverte des délinquants ? Non. Par contre, on y verra le moyen aisé du traçage d’autres délits bien plus mineurs et directement liés à l’utilisation des technologies de communication, ainsi la violation de droits d’auteurs à propos d’œuvres présentes sur le net, les tentatives de hacking, la fraude fiscale, etc.
Mais que penser, alors, d’un discours qui agite le spectre terroriste pour en réalité atteindre une autre cible, celle de délits économiques dont la recherche des auteurs n’apparaît pas justifier le recours aux moyens extraordinaires prévus ".
L’ensemble du débat sera retransmis sur le site du forum vendredi 7 décembre.
Les participants au débat :
Jean-François Abramatic, président du W3C (World Wide Web consortium) ; Catherine Chambon, chef de l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication (OCLCTIC) ; Pierre Leclerq, membre de la Cnil et conseiller honoraire à la Cour de cassation ; Gilles Manceron, de la Ligue des droits de l’homme ; Dominique Moïsi, de l’Institut français des relations internationales (Ifri).