Il ne fait pas bon se servir du nom et de l’image d’une marque pour s’attaquer à elle. Olivier Malnuit, initiateur du site " je boycotte danone.com " vient d’en faire les frais : il est poursuivi par le géant de l’agro-alimentaire. Entretien avec Olivier Malnuit.
(Entretien lié à l’article : jeboycottedanone.com attaqué par... Danone)
Vous venez d’être assigné en justice par Danone, quelle est votre première réaction ?
C’est une utilisation du droit de la propriété intellectuelle pour bâillonner un site. Cette attaque permet à Danone de ne pas soulever le problème de fonds du boycott. C’est une manière détournée mais très efficace, presque clinique, de nous attaquer. Danone a tous les moyens. L’attaque me vise à titre personnel ainsi que les deux sociétés qui assurent l’hébergement du site. On peut dire que jeboycottedanone.com est en sursis et j’ai peur qu’il ne ferme dans les jours à venir. Danone a un pouvoir financier énorme et si je lis ce qu’ils réclament dans l’assignation, j’en ai pour un million de francs...
Tout cela est fait pour faire peur. Dans ce genre de situation, tu vois presque ta vie défiler, tu parles avec ta copine... Je ne me pose pas en martyr, mais ils ont les moyens de me broyer financièrement. Tu te retrouves sans compte en banque sans appartement, et tout ce que tu gagnes sert à rembourser. Plein de gens vivent comme ça. L’autre jour, j’ai croisé Jean-Pierre Galland, le président du CIRC, le collectif d’information et de recherche cannabique, qui est un peu dans cette situation. Avec jeboycottedanonde.com, notre démarche est vraiment engagée et sincère et nous nous retrouvons dans le conflit qui oppose liberté d’expression et droit de la propriété intellectuelle des marques.
Comment en êtes-vous arrivé à monter jeboycottedanone.com ?
Je ne suis pas un pro de l’agit-prop, mais j’ai vraiment été choqué par l’affaire Danone. Pour le site de Technikart, j’ai dirigé un reportage dans l’usine Danone de Calais et les gens qui en sont revenus étaient vraiment hallucinés. Les grévistes avaient un discours très positif. Il y a une forte émotion autour de ce cas et un accident de communication de la part de Danone. On se croirait revenus aux pires heures des années 80 alors que tout le monde ne parle que de retour de la prospérité et de baisse du chômage. Sur la question du boycott, tout le monde s’est empressé de dire que cela favorisait la délocalisation et les concurrents, qui sont encore pires. Mais Danone a fait 4 milliards de francs de bénéfices. Et son PDG Franck Riboud a même déclaré, avec une classe toute particulière, que le boycott ne marchait pas, que le titre avait pris 6 % en bourse et que tout allait bien. Je veux bien qu’on parle de récupération politique du boycott, voire médiatique, mais il y a un modèle de société qui s’écroule. On mange Danone, quoi qu’il arrive. Ils ont 50 % du marché des produits laitiers, c’est la NASA (l’agence spatiale américaine NDLR) ! Personne ne veut manger uniquement du Leader Price, mais il y a aujourd’hui une dictature des marques, dont les prix sont en plus majorés par les énormes frais de publicité. Je ne suis pas d’extrême gauche. Nous voulons, gentiment, questionner le modèle.
Regrettez-vous la façon dont vous avez mené votre site de boycott ?
Il est déplorable que l’on m’attaque pour l’utilisation du logo Danone. J’aurais pu le faire de façon anonyme sous l’adresse " jenemangepasdeyaourts.com ". Technikart est une des rares magazines jouissant d’un peu de liberté éditoriale. Notre action est peut-être juridiquement idiote mais c’est trop tard. J’ai envie de dire que Danone a une puissance de feu incroyable, qu’ils peuplent mon frigo mais que je n’ai même pas le droit de parler d’eux. En plus, je ne vends pas de yaourt algérien de contrebande. Il n’y a pas de préjudice ni de vraie urgence. Je ne suis convoqué que le 30 mai, date à laquelle, j’en ai peur, on ne parlera plus de l’affaire Danone . Et les 570 grévistes auront été licenciés.
Vous avez écrit sur votre site que " le boycott reste la dernière forme d’action politique, dans une société où l’argent a profondément perverti le système démocratique. " Le pensez-vous toujours ?
Oui, toujours. Notre démarche est modeste et je regrette par ailleurs de ne pas voter. Ma génération ne vote plus. Les politiques ont démissionné et cédé au discours marketing et électoraliste. Je suis théoriquement pour Jospin, mais je trouve qu’il n’a rien de crédible, comme Chirac. Je ne milite pas du tout pour le non-vote, mais je pense que l’on peut voter d’une autre manière. Faisons du contre-marketing. 70 % des Français sont d’accord pour boycotter ! Je ne suis pas un révolutionnaire, mais je pense que tous les Français, face à la mondialisation, sentent qu’ils ne veulent pas d’un modèle à l’anglaise ou à l’américaine. Notre boycott est une guerrilla par défaut et certains vont vous prouver que le boycott économique ne marche pas, qu’il faut se décourager. Il reste toujours le boycott de l’image. Danone a voulu faire des économies en licenciant 500 personnes, ils n’ont pas fini de ramer pour rattraper ça en termes d’image. Il doit toujours planer une question dans la tête des consommateurs : Danone est-elle une marque de salauds ? je crois que les gens ont aujourd’hui une volonté d’oxygène, d’air neuf, une demande d’espoir.
Comment envisagez-vous la suite de votre action ?
Je veux bien sûr continuer, mais je ne connais pas encore précisément la réalité d’une pression comme celle que Danone exerce sur moi. J’aurai peut-être peur dans une semaine. Je suis aidé par plusieurs avocats, mais je n’ai pas encore choisi définitivement ma stratégie de défense. Politiquement, beaucoup pensent que cette assignation est l’occasion rêvée de prouver certaines choses. Mes amis de Technikart sont scandalisés, sont inquiets pour moi et, surtout, préparent un sujet.