Artiste numérique obsédé par l’image, Christophe Luxereau imagine le corps des humains de demain : ils changeront de bras comme on change de voiture. Portrait et Interview vidéo
Des jambes fines et musclées ; bronzage hawaïen au bras gauche, hâle asiatique pour le droit ; un buste féminin aux seins légers et des yeux qui portent la mention "
bleu-vert atlantique". À l’extérieur, la plastique est parfaite. L’intérieur - on le devine - est totalement robotique : un enchevêtrement d’acier et de câbles émerge de ces bras et ces jambes séparés. Le tout compose les Pièces Détachées, étrange œuvre photographique sur plaques de verre rétro-éclairées, exposée ce mois d’octobre dans une galerie de design à Paris (1).
Jean brut et T-Shirt jaune ; peau blanche, biceps gonflés aux haltères et léger bidon ; raie sur le côté : la plastique, imparfaite, est humaine. Elle s’anime souvent du sourire discret de Christophe Luxereau, dessinateur-photographe de 33 ans et auteur de ces Pièces Détachées. Fasciné par les looks, dingue d’images - il a travaillé dans la BD et dans la pub - et curieux des méthodes de modification corporelle comme le bondage [pratique consistant à se faire attacher- NDLR], on attendait de lui une tenue plus excentrique. Mais sa seule coquetterie revendiquée est l’épilation.
Esthétique nippone
Bidouilleur d’images, Christophe Luxereau a découvert le logiciel de retouche photo Photoshop à la fin des années 80 et il n’a pas arrêté, depuis, de trafiquer ses clichés au gré des évolutions techniques. Avec un processus d’élaboration éprouvé : photo argentique et traitement numérique. Question de qualité ("les appareils numériques ne sont pas encore assez performants") et d’authenticité (l’analogique laisse davantage de place au hasard). De quoi donner à ses personnages, souvent robotiques, un air plus vrai que nature et instaurer le doute dans l’œil du spectateur sur la réalité des modèles.
Obsédé par le corps, Luxereau a développé une esthétique inspirée de l’imagerie nippone, version rose bonbon, Candy et Bisounours. "C’est ce qu’on a appelé la tendance à la régression", résume l’artiste, qui se rend désormais deux fois par an à Tokyo. Il rappelle l’engouement des Japonais pour les poupées. C’est d’ailleurs par ce biais qu’il a commencé à s’interroger sur le corps, avec la série des Mécadolls, poupées androïdes à la beauté asiatique.
Chirurgien numérique
Dans la lignée de ces pantins numériques, Christophe Luxereau a conçu les Pièces Détachées comme un catalogue où les humains pourraient venir piocher des membres (voir l’interview vidéo). Pour les concevoir, il n’a pas hésité à fouiner dans des bouquins d’anatomie. "En chirurgie réparatrice, explique-t-il, les médecins se repèrent en attribuant des codes couleur qui correspondent à des fonctions, un peu comme les électriciens." Il a repris ces codes pour colorer les parties électroniques de ses membres. "Réparer", c’est le premier motif invoqué par l’artiste pour justifier ces prothèses en catalogue. Déjà, une de ses Mécadolls s’introduisait un tournevis dans le bras pour effectuer un réglage. Là, il s’agit de remplacer les membres déficients. Mais pourquoi s’en tenir là ?
Contrôler son image
"Les hommes voudront faire des expérimentations esthétiques au-delà de leur corps organique", assure-t-il en songeant qu’ils pourront changer de bras comme on change de voiture. La logique file : "La technologie doit leur permettre de s’affranchir de leur partie organique." Et s’il n’est pas le seul à miser sur la chirurgie esthétique (lire Danse avec les images), il n’hésite pas à afficher une posture radicale : "Tant qu’on a un cerveau, le reste n’est que de la mécanique associée." Lui-même n’arbore ni tatouage ni piercing, mais sa volonté de se débarrasser de ses poils participe sans doute de cette tentative de contrôler l’image du corps. Car c’est l’image à laquelle on veut correspondre qui crée l’identité, professe en substance Christophe Luxereau. On a le droit de ne pas être d’accord...
(1) Jusqu’au 3 novembre 2000 au WebStore & Store, 29 rue du Louvre, Paris
Site de Christophe Luxereau:
http://perso.wanadoo.fr/digitaldonuts
Les Mécadolls de Christophe Luxereau sont aussi exposées sur le site du festival @rts-outsiders
http://www.art-outsiders.com/teknia...