Pour se sortir de la nasse du financement de l’UMTS, les opérateurs doivent alourdir les factures de téléphone mobile. Mais l’arrivée de nouveaux intermédiaires, les MVNO, menace cette stratégie.
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En 2005, les opérateurs mobiles estiment que le revenu moyen par utilisateur aura augmenté de 25%, révèle l’institut Forrester Research. Et cela malgré la diminution des recettes du trafic "voix", qui reste à ce jour la vache à lait des télécoms. Cette manne viendrait de l’Internet mobile 3e génération (3G), plus convaincant que le GSM avec son haut débit, sa vidéo, ses multiples applications. Or, s’il semble plausible que la facture individuelle enchérisse, le maintien des marges bénéficiaires des opérateurs est moins évident en raison de l’irruption des MVNO. Comprendre : les Mobile Virtual Network Operators. Véritables ovnis de la 3G, ces "opérateurs de réseaux virtuels mobiles" vont exercer pour l’UMTS un rôle similaire à celui des Sociétés de commercialisation de services (les SCS, comme Hutchison, Debitel, etc.) pour le GSM. Leur boulot, c’est de vendre au détail les contrats d’abonnement des opérateurs. Mais attention, la similitude s’arrête là. Les MVNO ont une latitude d’action que n’avaient pas les SCS qui ont aujourd’hui quasiment toutes disparu du paysage des télécoms en Europe.
Intermédiaires multi-opérateurs
"Les opérateurs n’ont eu de cesse de faire crever les SCS, rappelle Bruno Salgues, de l’Institut national des Télécommunications. En France, il n’y en a plus que deux alors qu’elles étaient 25 au départ. En fait, elles étaient plus performantes que les services de vente des opérateurs, car elles pratiquaient les mêmes prix avec plus de services. Ils les ont étouffées." Soucieuse de maintenir à flots la concurrence, la Commission européenne encourage, dans son Livre Vert sur les mobiles, le développement des MVNO. Si elles existent déjà dans les pays scandinaves, il n’y en a pas encore en France. Sans être propriétaires d’une licence ou d’un réseau, ces opérateurs dits "virtuels" louent les capacités des opérateurs en place. Ils organisent à leur façon la chaîne d’application et de services. Notamment, ils construisent l’environnement virtuel qui sert d’interface à l’opérateur (Virtual Network Operator), et qui communique avec l’environnement virtuel du client, sur son terminal (Virtual Home Environment). Ainsi, en Grande-Bretagne où Virgin est déjà MVNO pour le GSM, c’est l’interface Virgin qui apparaît sur l’écran des mobinautes utilisant ses services.
Un public de 75 millions de jeunes
Maître de son interface, le MVNO peut ensuite négocier avec plusieurs opérateurs, au lieu de rester à la merci d’un seul industriel. Rien ne l’empêche d’offrir un bouquet de connexions UMTS, avec un peu de France Télécom, un peu de Vivendi, du GSM, du GPRS... En Suède, montre Lars Godell dans l’étude qu’il a réalisée pour Forrester Research sur l’UMTS, le MVNO Mobyson s’est spécialisé dans le divertissement sur mobile. Ses jeux WAP rapportent de l’argent, mordant sur les recettes potentielles des opérateurs généralistes. Il vise un public européen de 75 millions de jeunes ! Bref, la concurrence risque de rogner les marges des opérateurs qui se sont prêtés au jeu coûteux des licences. D’autant plus que les MVNO voient loin : "En Norvège, explique Didier Pouillot, de l’institut de l’audiovisuel et des télécommunications en Europe (IDATE), un MVNO nommé Sense avait lancé il y a déjà 4 à 5 ans une formule d’abonnement mixte, avec des liaisons filaires et mobiles."
Dynamique concurrentielle
La France devrait à son tour être touchée par le phénomène MVNO à l’occasion du lancement de l’UMTS. Darty, Carrefour ou la FNAC pourraient se lancer sur le créneau. Pourtant, aucun texte officiel n’encadre le rôle des MVNO sur le marché français, selon Didier Pouillot. "Les règles du jeu ne sont pas encore définies. Contrairement à certains pays où l’autorité de régulation des télécommunications a obligé les opérateurs à réserver une partie de la bande passante aux MVNO, la France n’a rien décidé. Cela se fera probablement en cas de contentieux, ou bien par l’adoption d’un code de conduite..." Le chercheur estime qu’il y aura de toute façon des MVNO, parce que "c’est un facteur de dynamique marketing et industrielle". En effet, ce que ces intermédiaires pourront grappiller en valeur ajoutée sur la distribution de services UMTS, ils le rendront autrement à l’opérateur. D’abord en frais de location d’infrastructure. Surtout, en recrutant des clients à leur place. Certes. Il s’agit d’un excellent marché pour un nouvel entrant, qui n’a pas forcément les épaules assez solides pour financer de front la licence, le déploiement des réseaux (avec une obligation de couverture), et les campagnes de pub. Mais en France, il n’y a déjà plus de nouvel entrant. Bouygues, réputé plus fragile que les autres, est lui aussi sur le point de se désengager selon des informations de Transfert. Par conséquent, les MVNO pourraient bien n’être que des sangsues pompant le plus clair des bénéfices des deux grands candidats à l’UMTS. Tout bien pesé, Suez-Lyonnaise/Telefonica et Bouygues feraient bien de se transformer en MVNO !