Alain Clerc est coprésident de la Fondation du devenir, qui met les nouvelles technologies au service du développement. Au Sommet mondial sur la société de l’information, qui se tiendra à Genève en décembre 2003, il parlera au nom des simples citoyens. Interview d’un homme qui voyage entre le monde numérique et l’Afrique.
Comment est née l’idée d’organiser
un Sommet mondial sur la société de l’information ?
L’initiative de ce sommet revient à l’Union internationale des télécommunications (UIT), une agence de l’Organisation des Nations unies (Onu) dont la vocation initiale est essentiellement technique (normalisation, répartition des fréquences, etc.). C’était en 1998. L’Onu a repris l’idée à son compte en décembre 2001, et l’UIT a été chargé de son organisation, placée également sous la responsabilité d’un secrétariat général tripartite, composé de représentants des gouvernements et des agences onusiennes, du secteur privé et de la société civile.Il y aura trois réunions de préparation. Et des conférences régionales se dérouleront partout dans le monde. Pour l’Afrique, ce sera Bamako, au Mali, à la fin de mai 2002.
La société civile et le secteur privé sont-ils invités aux préparatifs ?br>
Cela se décidera début juillet, à Genève. Si les représentants du secteur privé et de la société civile sont invités à cette première réunion, seuls les Etats y auront le droit de vote. Un équilibre parfait, avec un tiers des droits de vote pour chacune des parties, risque donc d’être difficile à obtenir. C’est pourtant le système en vigueur au sein de l’Organisation internationale du travail (OIT), où sont représentés, à parts égales, patrons, syndicats et Etats. On pourrait faire la même chose avec les nouveaux partenaires sociaux de la société de l’information.
Il va falloir que l’on parvienne à un système acceptable par tous. Si les gouvernements cherchaient à nous marginaliser, ce serait un échec pour eux, mais pas forcément pour la société
civile, qui serait capable de trouver d’autres moyens pour faire entendre sa voix.
Vous envisagez d’organiser un contre-
sommet, en marge de celui de Genève, si vous n’obtenez pas gain de cause ?br>
Je préfère ne pas me placer dans cette perspective, car je ne pense pas qu’on en arrivera là. On a besoin de nous car la tendance actuelle au toujours moins d’Etat est particulièrement criante lorsqu’il s’agit de nouvelles technologies, et cette démission pose aujourd’hui de réels problèmes. À tel point que la société civile elle-même interpelle les gouvernements en leur disant qu’ils ne peuvent rester les bras croisés. Je pense que beaucoup d’entre eux sont prêts à assumer de nouvelles responsabilités en matière de technologie de l’information et de la communication. Ces requêtes s’inscrivent dans une logique de corégulation à laquelle le secteur privé n’est pas forcément opposé. Il y a aujourd’hui dans ce domaine une convergence d’intérêts des trois secteurs, dont il faut profiter.
Quelle est la situation des nouvelles technologies de l’information et de la communication en Afrique, aujourd’hui ?br>
Au cours des années charnières 1996-2000, les pays africains ont pris conscience du fait qu’il ne fallait pas manquer la révolution numérique.
Aujourd’hui, ce n’est donc pas un hasard si l’Afrique est le premier continent à tenir une conférence régionale de préparation du Sommet sur la société de l’information, sous le patronage du président du Mali, Alpha Omar Konaré, dans le rôle de Monsieur e-Afrique.
Avant, les milieux intellectuels, académiques et politiques africains faisaient preuve de la plus grande réticence à l’égard des nouvelles technologies, estimant que l’Afrique devait avant tout
répondre à des besoins primordiaux comme
l’accès à l’eau, à la nourriture, aux soins, etc. à cette même époque, les anciennes puissances coloniales n’en tenaient pas davantage compte dans leurs programmes de développement. Elles craignaient de perdre leur influence au profit des Etats-Unis, dont les entreprises avaient une longueur d’avance dans cette industrie. Un Sommet de la société civile sur l’Afrique et l’Internet,
organisé à Genève en 1996 par la Fondation du devenir (FDD), a révélé cette situation de fait.
C’est alors que la FDD a créé le réseau Anais, observatoire des usages des nouvelles technologies en Afrique. Développé initialement dans sept pays, pour recenser toutes les expériences intéressantes, il est aujourd’hui implanté dans vingt Etats. Alors que nous ne pensions intéresser que les jeunes entrepreneurs, nous avons constaté dès le départ que l’attrait de la population pour Internet était colossal. Au contraire, l’adhésion s’est révélée générale, et sur un mode bien moins individualiste que ce que l’on peut observer en Europe.
Lorsque, en 2000, nous avons organisé à Bamako la manifestation Les passerelles du développement, pour réfléchir à la place des nouvelles technologies dans les efforts de développement, nous attendions 400 participants. Il en est arrivé 3 000. D’ailleurs, le point d’accès gratuit à Internet que nous avions mis à disposition des visiteurs a littéralement été pris d’assaut par des jeunes désireux de s’y initier. Nous avons même dû mettre sur pied un service d’ordre.
in Transfert Magazine n°23