L’Ecole de Guerre Economique (EGE) organisait, le 8 juin dernier, un colloque
consacré à la "manipulation de l’information",
occasion de faire plus ample connaissance avec quelques-uns des principaux acteurs
français de la "guerre de l’information". Le sujet, s’il n’est
pas encore bien balisé, ni défini (pourquoi appeler "guerre"
des manœuvres qui ne font pas de morts ?), fait néanmoins les choux
gras des médias. Englobant tout à trac la notion fourre-tout de
"cybercriminalité", les virus informatiques, manipulations
médiatiques, tentatives de déstabilisation… la guerre de l’information
est tout autant un spectre virtuel _ dont les dégâts sont parfois
bien réels _ qu’un générateur de chiffre d’affaires pour
sociétés de sécurité informatique et autres consultants
ès-qualités. Le lobbying visant à renforcer l’arsenal juridique
(voir les projets de LSI et de Convention sur la cybercriminalité), incitant
professionnels et pouvoirs publics à collaborer pour mieux se défendre,
ainsi qu’à s’équiper, se former, anticiper, va crescendo. L’"Appel
du 18 juin" émane de la galaxie EGE (voir La
France parle aux Français ), qui fait profession de "guerre
de l’information", mais elle n’est pas la seule sur le créneau.
"
L’homme doit savoir viser au-delà de son champ de vision
"
Daniel Martin, ancien commissaire divisionnaire, conseiller de l’OCDE, membre
du conseil scientifique de la Défense, ancien de la DST et animateur d’un
groupe du G8 sur la criminalité high tech, est l’une des références
françaises en la matière. Sa devise : "l’homme doit savoir
viser au-delà de son champ de vision". C ’est dire l’ampleur de la
tâche qu’il s’est assignée. Fondateur de l’Institut International
des Hautes Etudes de la Cybercriminalité (ou Cybercriminstitut), il cherche
à "appuyer là ou ça fait mal", mener des actions
de lobbying dans le monde entier et améliorer la lutte contre la délinquance
et la criminalité cyber. Pour cela, le Cybercriminstitut a créé
15 "task forces" réunissant un réseau d’experts internationaux
issus de la "nouvelle économie", de l’informatique, du monde
du renseignement, de l’intelligence économique et stratégique, du
privé et du public. On y cause sécurité des entreprises,
évaluation de la menace, aspects juridiques, gestion des cybercrises, mais
aussi droits de l’homme et protection des libertés. Plus surprenant, il
y est aussi question des "aspects sociaux, médicaux et psychologiques"
du pirate informatique : "l’intéressant n’est pas de savoir comment
il a fait, mais pourquoi il en est arrivé là". Le Cybercriminstitut
a même convié une universitaire spécialiste de la question,
ainsi que des membres du RAID, pour en disserter !
"
Le but n’est pas d’être guerrier, mais quand ça finit
à Auschwitz...
"
Universitaire, médiologue, intervenant à l’EGE et auteur de deux
récents ouvrages sur la question (*), Francois Bernard Huyghe est lui aussi
un ponte de l’"infostratégie", auquel il consacre d’ailleurs
un observatoire. Si Martin s’intéresse à la psychologie des cyberdélinquants,
Huyghe parle quant à lui de "tribus" pour qualifier ceux qui,
militants ou hackers, s’opposent au nouvel ordre mondial des réseaux. A
l’écouter, on se croirait revenu au temps des explorateurs du XIXe partis
à la conquête de territoires qu’il s’agirait de coloniser, et donc
de "sauvages" à pacifier, convertir, neutraliser, voire détruire...
Huyghe reconnaît d’ailleurs : "c’est chez les militaires que j’ai trouvé
le plus d’ouverture d’esprit, plus que du côté universitaire. Mais
je suis optimiste sur la capacité des politiques à comprendre, et
de l’université à s’ouvrir.", Christian Harbulot, qui dirige
l’EGE, tentait avec ce second colloque (en deux ans) de sensibiliser les
Français à la notion de guerre de l’information. A une journaliste
qui s’inquiétait de tant de discours d’inspiration guerrière, il avança que les journalistes sont ses "meilleurs alliés, le but n’est pas d’être guerrier mais de ne pas regarder les trains qui passent : il faut faire passer les infos, une partie des gens sont comme a Munich et regardent les
trains, mais quand ça finit à Auschwitz..." Mais quel rapport (douteux, au demeurant) peut-il y avoir entre la "guerre de l’information" et une politique d’extermination ? Philippe Baumard, lui aussi universitaire et expert en la matière, affine le propos : "il n’y a pas de morts, mais des chômeurs". Il estime par ailleurs que "sur l’aspect stratégique et doctrinaire, la France est bonne dernière". On se le tiendra pour dit.
*"L’information, c’est la guerre : des missiles, des émissions,
des électrons..." coll. Panoramiques Ed Corlet, 90F, et "L’ennemi
à l’ère numérique : chaos, information, domination",
Ed. PUF, 138F