L’ICANN entamait l’an passé une tentative de démocratisation prévue pourtant dès sa constitution en 1998. Tout porte à croire que l’expérience va cesser. Il faudra désormais payer, et posséder un nom de domaine, pour pouvoir voter.
La démocratie à l’ICANN, c’est fini. Enfin, presque : lors des élections des directeurs de l’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers, seuls seraient désormais habilités à voter les propriétaires de noms de domaine. Si tant est qu’ils se soient acquittés d’une cotisation, dont le montant est encore à définir. Telles sont les conclusions du rapport provisoire établi par l’At-Large Membership Study Committee (ALSC). Ce comité d’experts, présidé par l’ancien Premier ministre suédois Carl Bildt, avait été mandaté en janvier dernier par l’ICANN pour réévaluer l’implication des internautes dans l’organisation de coordination technique de l’Internet. En 2000, le renouvellement partiel du bureau de l’ICANN s’était soldé par l’irruption surprise de deux "dissidents", Karl Auerbach et Andy Müller-Maguhn, porte-parole du Chaos Computer Club, tous deux fervents partisans de la liberté d’expression et de la protection de la vie privée sur le Net. Leur élection avait fait frémir les dinosaures de l’ICANN, habitués à débattre entre technico-commerciaux et à privilégier l’aspect technologique à ses conséquences politiques. Ce qu’à l’ICANN l’on nomme la ligne "fonctionnelle" par opposition à la tendance "citoyenne". S’il n’est que "provisoire", le rapport de l’ALSC privilégie nettement la première et on voit mal comment l’ICANN irait à l’encontre des experts qu’elle a elle-même nommé.
Qui va financer les scrutins ?
Mardi 4 septembre, le chapitre français de l’Internet Society tenait une réunion pour exposer les conclusions du rapport. On y apprit que les élections de 2000 coûtèrent fort cher, quelque chose comme 15 dollars (112 francs) par votant. Et s’il n’y eut "que" 35 000 votants, le pire est à venir : comment faire face le jour où des millions d’internautes chercheront à voter ? D’où la proposition de restreindre les scrutins aux seuls titulaires d’un ou de plusieurs noms de domaine, la cotisation demandée visant à leur faire supporter le coût de cette "ouverture" de l’ICANN. L’implication des utilisateurs d’Internet avait pourtant été inscrit d’emblée dans les statuts de cette "société à but non lucratif", statut particulier propre au droit californien. Cet aspect-là de la question fut l’un des principaux sujets évoqués lors de la réunion.
Fiction juridique
Créé à l’initiative du gouvernement américain, l’organisme chargé de la stabilité d’Internet est aujourd’hui encore largement dominé par les Anglo-saxons : Networks Solutions garde pendant sept ans encore la mainmise sur les .com et surtout le département du Commerce américain dispose d’un droit de veto au sein de l’ICANN. Olivier Iteanu, avocat et membre de l’ISOC, mais aussi de l’ALSC, qualifie ainsi l’ICANN de "fiction juridique du contrôle". Certains Américains critiquent la privatisation de l’ICANN au profit de certaines sociétés et intérêts partisans, NSI en tête, ainsi qu’en témoignent les deux animations du site paradigm à propos du .biz (voir). Le NAIS (NGO and Academic ICANN Study), une organisation regroupant ONG et universitaires, vient quant à elle de publier un rapport, intitulé ICANN, la légitimité et la voix publique, réclamant une plus grande démocratisation de l’organisation. Mais rien n’indique qu’il sera suivi d’effets. D’autant que l’organisation de l’ICANN est d’une complexité telle que seuls des "experts", pros de la technologie ou bien de l’administration, sont a priori à même de pouvoir l’apprécier dans son ensemble (voir à ce sujet les excellents articles d’Homo Numericus). La réunion d’hier, intitulée "Gouvernance de l’Internet", mettait ainsi les points sur les "i" : il ne s’agit ni de démocratie, ni de "démocratisation", mais bel et bien d’une administration. Avec tous les travers que cela induit.
les articles d’Homo Numericus:
http://homonumericus.multimania.com...
Le rapport provisoire:
http://www.atlargestudy.org/draft_f...
ICANN, la légitimité et la voix publique (NGO and Academic ICANN Study (NAIS):
http://www.naisproject.org/report/final/