Non, ce n’est pas vrai, Fred Forest ne s’est pas tué avec une banane. Mais les coups médiatiques font partie de la recherche de cet artiste multimédia, qui a présenté son œuvre lors d’une conférence à la Sorbonne.
On s’attendait à un coup, quelque chose d’impressionnant, lundi 13 mars à la Sorbonne. Mais non, Fred Forest et son épouse, l’artiste Sophie Lavaud, ont tranquillement installé leur petit matériel informatique devant un amphithéâtre de sorbonnards studieux. Puis ils ont entamé le récit de l’histoire tumultueuse d’un des pères de l’art multimédia français. Pourtant, Fred Forest est coutumier des performances médiatiques et, de son propre aveu, apprécie qu’on dise de lui : "C’est un type qui se fait de la publicité." Car la recherche artistique de ce goguenard à la barbe blanche de 68 ans, entamée dès la fin des années 60, repose sur un concept aujourd’hui omniprésent : la communication. Le rituel communicationnel et les répercussions médiatiques autour de l’œuvre d’art font partie intégrante de sa démarche. Une idée originale si l’on remonte trente ans en arrière, que cet artiste roué qualifie lui-même d’ "œuvre de génie".
Kitsch, voire beauf
À la lumière de cette stratégie, on comprend mieux pourquoi l’un des premiers livres numériques français s’intitulait Qui veut tuer Fred Forest ? et pourquoi l’artiste lui-même en rédigeait une postface prétentiarde et autoglorifiante. On voit d’un autre œil le "technomariage" noué entre Forest et Lavaud à la mairie d’Issy-les-Moulineaux en 1999. L’événement, mené avec la bénédiction du médiatique André Santini, filmé par webcam et retransmis via des avatars sur le Net, (avec Marche Nuptiale techno !) avait pu apparaître kitsch, voire beauf, à certains commentateurs. En l’écoutant parler, on se dit que Forest a dû adorer les ubuesqueries télévisées de Dali, les provocations de Duchamp, les mises en scène fumeuses d’Yves Klein, puisqu’il les a transposées à l’ère de la vidéo, puis de l’Internet. Qui d’autre aurait pu penser à vendre pour la première fois 17 pages d’un site Internet aux enchères à Drouot ? Qu’un particulier s’en soit porté acquéreur pour 183 000 F ne peut que le ravir. Et faire soupirer ses détracteurs.
60 secondes sans image
Mais contre toute attente, cet ancien fonctionnaire des PTT a le succès modeste. "Ce que j’ai fait n’est pas parfait", admet-il. Lui qui avait annoncé sur un site vouloir "arrêter le temps le jour du printemps" affirme : "Je me fous de la postérité." Mais il aime à rappeler ses morceaux de bravoure passés, comme celui qui, en 1972, l’avait amené, à force de persuasion, à faire accepter un carré blanc en Une du Monde. Ça s’appelait 150 cm2 de papier journal. Les lecteurs étaient supposés remplir l‘espace et lui renvoyer leur carré. Une prémisse d’art interactif, en somme, qu’il est parvenu peu après à transposer à la télévision. Lors d’un journal télévisé, Forest a ainsi imposé 60 secondes sans aucune image. Il se souvient encore avec délectation de ses paroles, prononcées à ce moment unique : "Attention, votre téléviseur n’est pas en panne ! Prenez ce temps pour vous."