Pour la première fois en France (et en Europe), un tribunal vient de condamner deux personnes pour la diffusion de fichiers musicaux MP3, protégés par le droit d’auteur. À l’arrivée : deux jeunes gens un peu abasourdis et une Sacem ravie que la jurisprudence naissante soit en sa faveur…
Vincent
Roche a la voix gênée de celui qui s’est
fait prendre un peu bêtement. Jamais il n’aurait
imaginé passer, un jour, 24 heures en garde-à-vue.
Il raconte : "un matin, des membres de la police
judiciaire, venus de Paris, ont débarqué
chez moi pour une perquisition. Ils ont saisi mon
disque dur. Puis, je me suis retrouvé dans
une auto, au milieu d’un cortège de trois
voitures. Direction le commissariat. Ils ont cherché
à m’impressionner..."
Le tribunal correctionnel de Saint-...tienne
a rendu son jugement lundi dernier : respectivement
quatre et trois mois de prison avec sursis pour Vincent
Roche, 24 ans, employé d’une société
d’informatique et Frédéric Batie,
plus jeune de trois ans, avec qui il avait créé
le site mp3-albums.com. La condamnation civile est
lourde : au total, 140 000 francs de dommages et intérêts
(70 000 francs pour chacun des deux garçons)
versés aux plaignants : la Sacem (défenseur
des droits d’auteurs), le SCPP (Société
civile pour l’exercice des droits des producteurs
phonographiques) et Sony.
Cabrel et Madonna pour pas un rond
Objet du délit : le site mp3-albums.com donnait
la possibilité aux internautes de télécharger
des albums entiers au format en vogue sur le Net.
Des morceaux protégés par le droit d’auteur
mais que les deux copains proposaient pour pas un
rond. Les fichiers en question n’étaient
pas hébergés en interne, les liens de
téléchargement pointaient vers des sites
à l’extérieur. Pas de bol : en
droit, ça ne fait aucune différence.
"Nous voulions faire découvrir des artistes.
Nous ne voulions offrir des chanteurs renommés
que dans un premier temps et pour nous faire connaître",
assure Vincent Roche. Les internautes qui sont passés
par ce site pirate ont ainsi pu télécharger
gratuitement des albums de Francis Cabrel, Mylène
Farmer, Madonna, Will Smith ou des Cranberries. Vincent
Roche, qui évidemment ne leur avait pas demandé
leur autorisation, affirme avoir ensuite passé
des accords avec des musiciens inconnus afin qu’ils
disposent d’une vitrine. Il se défend
d’avoir eu un objectif commercial, en dépit
de la présence de bandeaux publicitaires sur
le site.
Argumentaire bidon
"Ils sont un peu hypocrites" estime, de
son côté, Benoît Solignac-Lecomte,
responsable des contrôles à la Sacem.
D’après lui, les propriétaires
du site avaient assorti leurs pages d’un argumentaire
juridique bidon pour se couvrir, du type : "vous
avez le droit de conserver cet enregistrement pour
une durée de 24 heures, ensuite, allez l’acheter".
Le créateur du site argue de sa bonne foi :
"nous n’avons fait que reprendre ce qui
existe sur des milliers d’autres sites du même
type. Pour le reste, je n’avais jamais vu d’info
sur le sujet, pas même sur le site de la Sacem."
La condamnation est, en tout cas, destinée
à servir d’exemple. "Nous en avons
marre d’entendre qu’il y a, sur Internet,
un vide ou un trop-plein juridique, alors que des
morceaux s‘échangent dans les cours d’école
au préjudice des équilibres traditionnels",
estime Pierre Forrest, chargé des développements
multimédias à la Sacem et responsable
des perceptions du Sesam, organisme qui fédère
les sociétés de droits d’auteurs
pour le multimédia. Les deux Stéphanois
n’étaient certainement pas les plus grands
bandits du Net, mais pour Pierre Forrest, "le
préjudice était conséquent puisqu’il
s’est agi de distribution gratuite".
La décision devrait faire jurisprudence et
rassure les enquêteurs de la Sacem, contrariés
de voir qu’en Suède, les liens vers des
sites externes proposant des fichiers illégaux
ne sont pas inquiétés par la justice.
En France, d’autres condamnations pourraient
suivre : une dizaine de plaintes déposées
par la Sacem sont en cours d’instruction.
Quant à Vincent Roche et son copain, premiers
Européens condamnés pour ce type de
délit, ils ne sont pas encore certains de faire
appel. Coup de bol dans leur malheur, leur condamnation
ne sera pas mentionnée sur leur casier judiciaire...