100 % intuitif, ce nouvel instrument, encore en projet, vous permettra de jouer une infinité de sons, juste en tapotant sa surface tactile.
À première vue, on dirait une tortue. Un poisson cyclope, aplati et asymétrique, à la nageoire caudale protubérante. « Loom a quelque chose d’organique, de presque vivant », confirme Arno Sebban, qui a imaginé cette maquette d’instrument de musique. Pieds nus sur la moquette blanche de son studio lumineux et ordonné, où abondent les essais et les livres d’art sur l’Asie - la spécialité de son amie -, Arno Sebban colle à l’idée qu’on se fait d’un jeune designer. S’il tente de se faire un nom en dessinant des tables, des lampes, des stylos, ses yeux brillent lorsqu’il parle de Loom. Ce fameux instrument de musique révolutionnaire, il l’a rêvé pour son projet de fin d’études à l’ENSCI-Ateliers, l’école de design de la rue Saint-Sabin, à Paris. « Je voulais abolir la frontière entre les instruments traditionnels, tactiles mais limités, et la musique électronique. Elle ouvre des possibilités nouvelles mais laisse peu de place à l’intuition et à l’esprit scénique », dit-il. Puis, il sort ses épures.
Car Loom n’existe encore que dans la tête de son créateur. Pour le reste, il se résume à des dessins et à une maquette soignés. L’instrument (tel qu’Arno l’a imaginé) se compose d’une coque de merisier recouverte d’une surface tactile commandant un émulateur, Modalys, logiciel de synthèse sonore développé par l’IRCAM. « Le principe de Modalys, c’est de synthétiser les sons à partir des éléments physiques qui les provoquent. Par exemple, pour produire un son de guitare, on définit les caractéristiques d’une corde, d’un mediator, le mouvement de ce dernier et son point de contact avec la corde », explique Nicolas Misdariis. Cet ingénieur à l’IRCAM a fait découvrir à Arno les propriétés du logiciel.
La carapace souple de Loom permet de déterminer la note jouée, grâce à un réseau de sérigraphies en mousse de carbone : le matériau devient de plus en plus conducteur à mesure qu’on le comprime, ce qui augmente l’intensité de la note. Et l’œil cyclopéen de l’instrument est, en fait, constitué d’une bague et d’une boule mobiles qui définissent le type de son que l’on va produire. « L’idée, c’est qu’une personne dénuée de formation musicale puisse rentrer progressivement dans la finesse des notes. Les timbres que l’on peut générer sont loin d’être tous gracieux, mais chacun pourra forger ses propres sons à partir d’une palette quasi-infinie », s’enthousiasme Arno Sebban.
Un système très intuitif - mais si riche que l’on peut facilement s’y perdre ! Loom inclut donc un écran graphique, indiquant les caractéristiques de chaque son, et capable de les mémoriser pour les réutiliser ultérieurement. Par ailleurs, plusieurs dispositifs permettent d’appliquer des effets aux sons produits. « Les sons sont des sculptures. J’ai donc prévu des boutons pour les modeler comme s’il s’agissait de glaise : les déformer en jouant sur le tracé de l’onde, sur les harmoniques, la résonance... » Enfin, Loom intègre un haut-parleur « suffisamment puissant pour jouer seul chez soi ou faire un bœuf avec un chanteur ». Afin que l’instrument tienne sa place en concert ou au sein d’un groupe, un relais radio permet une amplification puissante sans réduire la mobilité du musicien.
Pour faire passer Loom de l’état de maquette à celui de véritable objet commercialisable, Arno Sebban n’a pas ménagé ses efforts. Avec quelques amis, il a réalisé un clip qui en simule l’utilisation, en solo et dans le cadre d’un groupe au look hilarant, Les Gracieux. « Il ne s’agit encore que d’un projet. Réalisable, mais très conceptuel », regrette Nicolas Misdariis. Faute de financement, Arno n’a pu faire construire un prototype. « Un premier exemplaire exigerait un gros travail de développement. Le budget s’élèverait à 500 000 francs », reconnaît-il. Premier souci, les sérigraphies de la surface de contrôle tactile : le système existe, mais à petite échelle uniquement. Il faudrait donc fabriquer la machine pour produire des sérigraphies d’aussi grande taille... Ensuite, le logiciel Modalys ne permet pas encore l’émulation sonore en temps réel. « Loom est la première tentative d’interface tactile intuitive pour Modalys. Une palette graphique, Modalys-er, a bien été conçue, mais elle ne permet pas de performance en temps réel », dit Nicolas Misdariis. L’arrivée à l’IRCAM, début 2001, d’un développeur supplémentaire pour Modalys ouvre de nouveaux espoirs. Pour voir son rêve se matérialiser, Arno Sebban va devoir se montrer patient.