Les salariés de la nouvelle économie sont de plus en plus nombreux à se tourner vers les syndicats. Interview d’Ivan Beraud, secrétaire général du BETOR-PUB, la branche informatique et publicité de la CFDT.
Ivan BeraudD.R. |
Le BETOR-PUB, syndicat CFDT de "la nouvelle économie", affiche 27 700 adhérents en 2000. Un chiffre en hausse de 29% (la plus forte progression de son histoire, selon le syndicat) par rapport à 1999. Ce syndicat regroupe les adhérents des sociétés d’informatique, du conseil, de la publicité, de l’expertise-comptable ou des centres d’appels tandis que les salariés de l’e-commerce sont rattachés à la branche commerce classique de la CFDT. Interview d’Ivan Beraud, secrétaire général du BETOR-PUB.
Vous vous proclamez "syndicat de la nouvelle économie" mais vous regroupez des secteurs aussi différents que l’informatique, la publicité, les centres d’appel ou le conseil. D’où viennent vos adhérents ?
Un tiers d’entre eux viennent de l’informatique au sens large, 17% de la publicité, 7 à 8% des centres d’appel, 15% des bureaux d’études, 10% des instituts de sondages et d’études de marché, le reste des entreprises de conseil. C’est cohérent, car il y a aujourd’hui une convergence entre informatique et publicité, informatique et conseil, voire entre conseil et publicité. De même, il y a une forte convergence entre l’Internet, la publicité et les centres d’appels téléphoniques. Une entreprise comme Atos intègre les sites web et les centres d’appel. Des cabinets de conseil s’y mettent aussi...
Quelles tendances avez-vous enregistrées cette année, dans les relations sociales de la nouvelle économie ?
On observe un mûrissement des salariés. Les petites boîtes en forte croissance ont fini par grossir, certaines sont rachetées par de plus grosses. Lorsque Spray est racheté par Lycos Europe, ses salariés entrent dans un autre système. On passe de plus en plus d’un système "bande de copains" à un système capitaliste classique. Parfois, les méthodes de gestion du personnel n’évoluent pas au même rythme. Bien sûr, la situation est très différente, entre pagesjaunes, premier fabricant au monde de pages internet avec 2 000 salariés, Liberty Surf, dont le patron "n’aime pas bien" les syndicats, et un petit site de dix personnes. Nous profitons de ce mûrissement. Ubifree, par exemple (lire À bas la culture d’entreprise), ne s’inscrivait pas dans la durée, ses créateurs ne voulaient pas se syndiquer. Maintenant, des employés de ces boîtes nous contactent. Ils nous demandent de les aider à négocier un accord, à organiser des élections. Ça nous amène des adhérents, que ça se passe bien ou mal, d’ailleurs. Chez AOL, par exemple, des salariés sont venus nous voir alors que ça allait bien. On a signé un accord 35 heures qui n’est pas mal du tout, avec 15 jours de RTT et un cadrage hebdomadaire. Cela se passe moins bien parfois. Des gens de Spray viennent nous voir parce qu’ils sont inquiets après leur rachat, que les infos se font rares et qu’ils craignent d’être en sureffectifs...
Le nombre de conflits évolue comment ? Quelles sont les revendications ?
On a eu des conflits importants dans les centres d’appel. Et ça s’accroît. Avant, les conflits y étaient durs et localisés. Maintenant, c’est toujours dur, mais plus organisé. Plus largement, les causes de tension touchent aux rémunérations et aux conditions de travail ou aux 35 heures, comme chez Cap Gemini ou Sema Group. Dans le secteur, nous rencontrons des patrons qui n’aiment pas trop les syndicats et font signer des contrats de travail souvent très précaires. Dans les boîtes plus petites, les dotcoms, on assiste davantage à l’émergence d’une expression des salariés, avec des expériences comme Ubifree ou tchooze.com (lire Tchooze.com ou comment dire du bien de sa boite), qu’à une construction dans la durée. Il y a aussi des problèmes de durée de travail, souvent colossale. Sur la rémunération, les services informatiques classiques n’ont pas de soucis tandis que les centres d’appel sont au SMIC. C’est sur l’Internet stricto sensu qu’on voit des rémunérations "exotiques", avec beaucoup de CDD, de relations de copains, donc de confiance, où on oublie parfois de signer des contrats de travail. Avec beaucoup de "promesses", aussi. On a aussi quelques cas nouveaux : chez un spécialiste de la sécurité racheté cette année, ceux qui avaient des stocks ont touché le jackpot, les autres, rien ! Sur les stock-options il y a une vraie demande de clarification sur la façon dont elles sont distribuées.
De nouvelles revendications émergent-elles ?
Il y a une demande de mixité sociale, qu’on retrouve dans la société, avec la prise en compte des femmes, des handicapés, des salariés d’origine étrangère. Dans la nouvelle économie, il y a peu de femmes et beaucoup de salariés ont la même formation. On voit aussi monter les sujets autour de la garantie du respect de la vie privée, une demande de séparation entre vie personnelle et vie professionnelle. De même, la société doit trouver des réponses à ce que nous appelons une "rupture de concurrence" : ainsi, le e-commerce exerce une pression sur le commerce classique, notamment sur la question de l’ouverture des magasins le dimanche.
Comment réagissez-vous au refus opposé par l’ICANN à la création d’une adresse .union ?
Sur cette question, il y a des nouvelles adresses internet, une appropriation du Net par l’ICANN, en faveur du tout-marchand. Pourtant, les syndicats avaient été obligés de mettre beaucoup d’argent sur la table ! Nous espérions qu’ils nous donneraient au moins "l’alibi" du .union. Ce n’a même pas été le cas...