Critiquée pour la non pertinence de ses méthodes de mesure de fréquentation des sites, pour l’opacité de sa méthodologie, pointée du doigt parce que des clients trichent, Cybermétrie se sent bien. Droite dans ses bottes selon l’expression consacrée d’un ancien premier ministre...
Nous ne pouvions clore le dossier sur la mesure d’audience sur le Net sans interroger les responsables de l’institut Cybermétrie, critiquée à bien des égards. Nous avons souhaité interroger Philippe Tassi, professeur de mathématiques et directeur général adjoint de la société. Pourquoi lui en particulier ? Nous voulions avoir le regard d’un statisticien sur le sujet et non pas une approche purement marketing, pouvant s’accommoder de quelques imprécisions dans les résultats. Il était assisté de Laurent Judkiewicz, directeur du marketing et nouveaux médias et de Charles Juster, directeur de la communication. Interview croisée.
Avez-vous conscience que vos chiffres ne sont pas exacts : ils ne mesurent pas la fréquentation réelle des sites ?
Philippe Tassi : Je ne sais pas ce que c’est qu’un chiffre exact. L’important, c’est de savoir ce que l’on veut mesurer, comment on mesure, auprès de qui et comment on contrôle que ça fonctionne bien. Nous tentons, comme tous les statisticiens, d’approcher, de la manière la plus fiable possible, une réalité inconnue.
Justement, avez-vous calculé une marge d’erreur ?
Philippe Tassi : Impossible. Il ne peut y avoir de marge d’erreur que dans l’échantillonnage. Or, il n’y a pas de panel dans ce cas précis. Nous mesurons la fréquentation des sites.
Existe-t-il un ouvrage de référence, un cadre méthodologique en interne sur la comptabilisation de la fréquentation internet ?
Philippe Tassi : Non.
Charles Juster : Nous avons des procédures techniques en interne.
Philippe Tassi : Oui, nous avons des documents, mais nous sommes dans un cadre concurrentiel et nous ne les publions pas.
Pourtant vous avez lancé Cybermétrie en septembre 1999 et vous créez ces jours-ci un comité internet qui a vocation de réunir la plus grande majorité des acteurs du marché pour leur permettre de définir, ensemble et par voie de consensus, les normes de gestion et d’évolution des outils de mesure d’audience et de performance de Médiamétrie dont ils sont clients. Cela semble vouloir dire qu’auparavant, les normes de gestion en question étaient un peu floues...
Philippe Tassi : C’est un comité technique pour nous aider à gérer nos propres outils. À gérer les compromis entre technicité et financements. Vous savez, nous sommes dans un environnement de marché et nous voulons associer nos clients pour définir les meilleurs outils. Afin que l’on puisse trouver un point de référence.
Justement, pour répondre aux exigences de diffusion contrôle, vous allez être obligé de modifier la variable visite. Avez-vous peur de l’effondrement de la fréquentation de certains sites ? Comment l’expliquer ? Par une erreur méthodologique ?
Philippe Tassi : Pas du tout. Ceux qui peuvent avoir peur, ce sont les sites. Pas nous. Et vous savez, ce changement a un intérêt. Etre plus fiables, plus proches de la réalité. L’amélioration continue des outils, ce n’est pas une erreur méthodologique... Il faut rassurer les clients en leur expliquant que le résultat sera plus proche de la réalité inconnue dont nous parlions tout à l’heure.
Charles Juster : Si on a un outil fiable, on va peut-être avoir 200 sites de plus comme clients. Elle est là, l’économie d’échelle.
Laurent Judkiewicz : Ce qui est intéressant, c’est de voir ce qui va changer. Pas simplement le nombre de visites, mais aussi la hiérarchie du classement…
Charles Juster : vous savez, on n’a pas la prétention d’avoir des outils parfaits, mais on travaille avec le marché pour les améliorer.
Il y a du boulot. Dans votre panel, vous prenez des enfants de 2 ans. Connaissez-vous beaucoup d’internautes de 2 ans ?
Philippe Tassi : vous savez en Australie, pour les panels télé, ils comptabilisent à partir de la naissance... La mesure d’audience, c’est un marché. Un marché avec des clients. Ils décident ce qu’ils veulent mesurer. Le cahier des charges est remis par le marché.
Visiblement, vos outils sont encore loin de la perfection et intègrent très bien des aberrations. Exemple : un internaute se connecte le matin sur son site de transactions boursières préféré et reste en ligne jusqu’au soir. Avec 500 refresh (actualisations) de la page dans la journée, vous comptez 500 visites. C’est délirant, non ?
Philippe Tassi : oui, c’est aberrant sur le plan statistique, mais on essaye d’améliorer le système.
Laurent Judkiewicz : on réfléchit avec les clients au système des cookies qui permettent de ne compter qu’un visiteur dans ce cas de figure.
Pour avoir des outils parfaits, il faudrait aussi que les aberrations soient décelables. C’est impossible. Je vous mets au défi de remarquer un
Philippe Tassi : je n’ai pas de réponse à votre question. On aura sans doute bientôt une réponse mathématique.
Lorsqu’on découvre qu’un site gonfle son audience, comme ce fut le cas pour Tchatche.com, pourquoi n’est-il pas exclu du classement ? cela nuit à la crédibilité de l’ensemble...
Laurent Judkiewicz : nous travaillons à une charte de déontologie. Aujourd’hui, les gens déclarent les sites sur lesquels il y a des marqueurs. Et on a une équipe qui s’occupe des contrôles !
Philippe Tassi : vous savez sur qui ça retombe la triche ? Sur Internet. Les annonceurs et les investisseurs vont être plus frileux.
N’est-il pas étrange qu’un organisme se rémunère en fonction de la taille du chiffre qu’il mesure ? Plus il y a de visites, plus c’est cher...
Laurent Judkiewicz : pourquoi on indexe le prix sur le trafic ? Simplement pour répercuter le coût de la bande passante.
Vous dites comptabiliser les visites des sites, mais en fait, vous agrégez les visiteurs de tous les sites d’une entreprise pour un seul serveur. Exemple : 01net.net et Telecharger.com. Le premier rachète le second qui fait bien plus d’entrées que lui et voilà 01net propulsé en haut du classement d’un mois à l’autre. Pourtant, les contenus des deux sites n’ont rien à voir. C’est comme si TF1 annonçait une audience télé en y ajoutant celle de LCI...
Charles Juster : ce sont les clients qui ont demandé à ce que le détail des noms des sites agrégés soit publié. Ils ont accès aux chiffres correspondant à la part de chaque serveur. Pas le public.