D.R.

Cheveux courts et regard déterminé, Jackie Strike est bien décidée à devenir présidente des ...tats-Unis. Son programme vise l’américain moyen : elle célèbre le port d’arme et vilipende la criminalité ; elle a participé à des manifs contre les vêtements en fourrure et elle milite pour que tous les vieux aient droit à la sécurité sociale. Elle aurait donc tout pour gagner si elle n’était entièrement... virtuelle. Pour la concevoir, ses créateurs n’ont pas lésiné sur les symboles. Née le jour de la victoire (8 mai 1945), elle a perdu son fils aîné perdu sur un champs de bataille de la guerre du Golfe. Elle porte un prénom présidentiel (Jackie comme Jackie Onassis) et un nom de bon augure (dans ce contexte, strike ne signifie pas "grève", mais "coup réussi", en référence au base-ball). Jackie s’adapte parfaitement à son public. Dans la version espagnole de son site, la mère de la candidate virtuelle est une réfugiée cubaine. "On va sans doute également développer une version japonaise de la biographie officielle de Jackie", ajoute sans complexe son directeur de campagne, Chris Goold...

Discours généré automatiquement

Jackie est donc parfaitement internationale mais de là à imaginer qu’elle soit la création d’une société allemande... Car c’est bien Böttcher-Hinrichts AG, société hambourgeoise de communication sur Internet, qui a conçu la candidate numérique. L’entreprise n’en est pas à son premier coup d’essai. À son actif : Wahlkampf98.de, le site politique le plus visité lors des élections de septembre 1998 en Allemagne qui a depuis trouvé son prolongement dans le magazine en ligne Politik Digital. On pouvait y créer son propre candidat virtuel, à l’aide d’un logiciel de génération automatique de discours. Ce software, Phrasemonger, mixe les propos de divers hommes politiques, cueillis dans une base de données - avec par exemple 5% de Al Gore, 25 % de McCain... Et l’internaute obtient finalement une allocution crédible. C’est-à-dire tout aussi creuse que celle de la plupart des hommes politiques. La firme allemande n’a pas résisté à la tentation de réitérer l’expérience et de frapper fort avec la présidentielle américaine, élection hautement médiatisée, mais vidée de son sens par un taux d’abstentionnisme de 30 à 40 %. Elle a donc monté une société mixte avec deux autres entreprises allemandes : NoDna (qui crée le personnage virtuel) et Webpilots (pour les tours en réalité virtuelle). But de l’opération : montrer, grâce à Jackie, les travers du système politique américain. Pour cela, le logiciel Phrasemonger a encore fait des merveilles. "Aujourd’hui, explique Chris Goold, les hommes politiques se contentent de dire ce que les Américains veulent entendre. Nous avons souhaité dénoncer cela en reprenant, en vrac, McCain, Al Gore, Bush, Kennedy, Luther King, la déclaration d’Indépendance..."

Porte-parole réel ?

Ses concepteurs assurent que le site de Jackie va au-delà de la simple satire : "Jackie est aussi une projection de ce que l’on pourrait faire en politique. Sa première mesure, si elle est élue, consistera à mettre en place un réseau de communication pour que les citoyens s’impliquent davantage dans la vie publique, à travers des pétitions, des opinions sur des forums..." Et si jamais ça marchait ? Il y a déjà eu plus de 25 000 connexions au site. Le directeur de campagne s’en réjouit, mais ne se fait pas d’illusions : "Ce sera une sorte de vote de protestation. Mais il ne sera pris en compte, parce qu’il faut encore être une vraie personne pour être élu..." On pourrait peut-être dénicher un porte-parole physique pour la créature virtuelle : "Pourquoi pas... s’amuse Chris Goold. On a bien eu un acteur à la tête des ...tats-Unis !"