Les entreprises de télécommunications ont pris leur temps avant de croire à l’Internet mobile. Du coup, les délais de lancement de l’UMTS (Universal Mobile Telecommunications Service) ne seront pas respectés.
En janvier 2002, théoriquement, les Français devraient pouvoir naviguer sur Internet avec leur téléphone cellulaire de "troisième génération" (3G). C’est la date prévue pour le lancement de l’UMTS (Universal Mobile Telecommunications Service) dans toute l’Europe. Elle est inscrite dans les contrats de licence que l’Autorité de régulation des télécommunications (ART) s’apprête à délivrer, en juin prochain, aux quatre opérateurs qui seront sélectionnés pour commercialiser l’UMTS dans l’Hexagone. À noter : la France est le dernier pays parmi les Quinze à attribuer ces licences 3G.
Et ce n’est que le début des retards. En effet, même si les opérateurs respectent le calendrier de l’ART dans les formes – campagne de pub, mise en service d’un début de réseau, présentation de quelques applications vedettes – l’UMTS ne sera pas prêt. Bruno Salgues, chercheur à l’Institut national des télécommunications, en veut pour preuve l’état d’impréparation des équipementiers et des fournisseurs de services : "Les mobiles UMTS ? Ils flambent ! Les circuits grillent après quelques minutes de manipulation… Pire encore : j’ai eu entre les mains pour la première fois il y a deux jours un téléphone GPRS, alors qu’Internet mobile deuxième génération est censé fonctionner cette année. Quant aux services… tous ceux que j’ai vu défiler sur le GPRS sont des services WAP." Selon le chercheur, la panoplie réseaux-terminaux-services de l’UMTS ne sera complète qu’en 2010.
Le revirement Internet des télécoms
Et pourtant, les opérateurs mettent déjà les bouchées doubles. Ils ont investi et vont investir de telles sommes dans la téléphonie de troisième génération, qu’ils ont intérêt à commercialiser leur service au plus tôt, pour encaisser les premières rentrées d’argent. La Commission n’est pas non plus étrangère à cette précipitation. C’est elle qui a imposé l’échéance de 2002 pour l’UMTS, espérant qu’ainsi l’Europe devancerait les Etats-Unis dans la mise en œuvre de l’Internet mobile, et comblerait son retard technologique. Mais ce bel entrain n’est sans doute pas suffisant pour respecter le calendrier de la 3G.
En fait, le projet UMTS est victime de ses débuts mouvementés. Longtemps, le monde des télécoms n’a pas cru à Internet, au point de vouloir l’enterrer. En 1995, France Télécom juge qu’il s’agit d’un "réseau sans avenir". La commutation par paquets (le protocole IP) est encore une tocade d’informaticiens. On ne jure que par l’ISDN (Integrated Services Digital Network). C’est un réseau numérique et haut débit commercialisé en France sous la marque Numéris par France Télécom. Mais ce n’est pas de l’Internet. Naturellement, l’UMTS première version est conçu comme un support pour les communications ISDN. Le petit monde des télécoms européen y travaille depuis 1991, dans le cadre d’IMT 2000 (International Mobile Telephone). Ironiquement, cette initiative de l’Union Internationale des Télécommunications devait aboutir à la naissance de la 3G en 2000…
Seulement, en novembre 1997, les grands des télécoms réunis à Rome sous l’égide de l’ETSI (European Telecommunications Standards Institute) réalisent qu’il va falloir composer avec le Réseau. S’ils ne font pas fonctionner les téléphones mobiles sous protocole IP, d’autres le feront à leur place. En novembre, ils décident donc de laisser tomber l’UMTS première version. C’est un désaveu pour l’ETSI, qui s’efface. Désormais, le 3GPP (3G Partnership Project, projet de partenariat 3G) se chargera de coordonner l’effort de standardisation européen.
En 1999, à la conférence d’Helsinki organisée par l’Union internationale des télécommunications, les travaux aboutissent… à la présentation de cinq normes UMTS ! Pas mal, pour un format "universel". En octobre 2000, nouvelle réunion à Québec. L’UIT demande qu’on s’accorde sur trois normes. Sur fond, comme d’habitude, de rivalités entre les ...tats-Unis, l’Europe et le Japon. Non seulement on n’a pas réussi à combattre cet atavisme, mais en plus l’UMTS n’existe toujours pas après neuf ans de réflexion.
L’invention de la 3G
Pendant ce temps, les futurs "mobinautes" s’impatientent. Que faire pour s’accaparer le marché du haut débit sans fil ? Inventer des normes intermédiaires, pardi ! Puisque le GSM fonctionne pas mal, les grands des télécoms intronisent le WAP comme "Internet mobile deuxième génération" et le couplent au réseau-tortillard du début des années 90. Suivant une subtile gradation, les opérateurs mettront ensuite à la disposition des utilisateurs la "téléphonie mobile 2,5G" : au choix, le GPRS (General Packet Radio Service), ou Edge (une autre norme) Il ne reste plus qu’à rebaptiser l’UMTS : "3G". Un peu de baratin, quelques schémas technos, et on en viendrait presque à croire que tout avait été prévu dès le départ…
Les opérateurs, les équipementiers, les organismes de régulation, les fournisseurs de services, et même les banquiers qui financent l’affaire sont donc obligés de croire dur comme fer en l’UMTS – pour la date prévue. Que se passera-t-il en 2002 ? Souvenons-nous du flop du WAP. Voici comment l’explique Paul Amsellem, créateur de la plate-forme mobile phonevalley.com : "Les opérateurs ont mis la pression sur les constructeurs. Ces derniers ont dû installer dans l’urgence des navigateurs WAP sur des terminaux inadaptés. C’était la chronique d’une mort annoncée." L’UMTS semble prendre le même chemin. Erreur fatale.