Tout feu, tout flamme, Jean-Michel Billaut. La révolution Internet, il l’a annoncée avant pas mal d’autres. Et vécue si intensément qu’il a faillli y laisser sa peau. Car il ne fait pas les choses à moitié : entièrement voué au format électronique hier, roulant pour le haut débit aujourd’hui. Fou furieux ou gourou... à vous de voir.
(Transfert Magazine, n°23)
Parfois, il aimerait n’être que le mari de madame Billaut. Ce qui lui éviterait, pense-t-il,
d’être considéré tantôt comme un fou furieux, tantôt comme un gourou. Ou encore comme un mélange des deux. à 56 ans, au fond, il ne sait pas lui-même qui il est. Un peu cabot, toutefois, Jean-Michel Billaut, patron de l’Atelier, la cellule de veille technologique de BNP-Paribas, préfère être étiqueté gourou. Celui qui, depuis vingt ans, annonce devant des auditoires incrédules, ce que demain nous promet.
Derrière ses lunettes, son regard pétille comme celui d’un gosse à l’affût d’un mauvais coup. Pourtant, il sent que le temps a laissé son empreinte. Au rythme des révolutions technologiques, incapable de se freiner et balançant ses premiers messages électroniques dès 5 heures du matin, Billaut a vécu plusieurs vies depuis sa découverte du projet Minitel, à la fin des années 1970. Et, surtout, depuis sa plongée dans l’Internet, avant même que le grand public français n’entende le mot. Aujourd’hui, il en paie le prix. Le prix fort, même, depuis ce coup de fil, reçu chez lui, le 12 décembre 2000 : « Monsieur Billaut ? Je suis chargé de vous informer que le président de la République a décidé de vous remettre la Légion d’honneur. » Billaut a remercié. Et s’est effondré, le téléphone toujours en main. Hôpital. Soins. Angine de poitrine. Et, depuis, mi-temps thérapeutique.
Si le corps demande un répit, l’esprit, lui, reste insatiable. Il l’a toujours été. Né dans le Nord, Jean-Michel Billaut a fait des études d’économie, complétées par un diplôme de mathématiques au laboratoire de calcul de l’université de Lille. Son prof s’appelait Bacchus. Cela ne s’invente pas. Comme sa dispense du service militaire au bout de 64 jours, réformé P6, - le classement des fous - grâce à un copain toubib.
Billaut est atypique, et la Compagnie bancaire, qu’il rejoint en 1973, après avoir répondu à une annonce, va le comprendre rapidement. Grâce à une étude, rédigée pour la direction sur le fonctionnement des crédits hypothécaires dans les Caisses d’épargne. Avec son style Parisien libéré, la note de Billaut tranche sur les rapports des énarques, centraliens et autres polytechniciens. Elle plaît, notamment, à André Lévy-Lang, le président. Qui lui offre le centre de documentation du groupe. Nouveau métier, nouveaux problèmes : à la fin des années 1970, alors que les écrans commencent à s’imposer dans les bureaux, Billaut se penche sur le problème de la revue de presse maison. Des monceaux de photocopies portées ou postées dans toute la France. Pourquoi ne pas les diffuser, plutôt, sous format électronique ? « Ici, monsieur, on travaille, on ne s’amuse pas », grimacent les responsables informatiques.
Sa chance, c’est l’arrivée du Minitel et le soutien d’André Lévy-Lang, qu’il convainc un jour, à la cafétéria de la banque. C’est aussi l’intérêt rapide des équipes de marketing pour cet « Atelier » de veille à l’affût des dernières technologies. « Pour persuader les clients, on a compris qu’il fallait que je joue un rôle de gourou : celui qui présente les technos, mais qui ne parle pas d’argent. » Il multiplie les présentations, les démonstrations. Pour séduire les patrons de la distribution en province, il sillonne la France avec son équipe dans une camionnette remplie de matériel. En 1983, il lance un test dans 60 magasins clients de Cetelem, une filiale de la Compagnie bancaire : les vendeurs sont invités à faire leur demande de crédit à la consommation par Minitel pour obtenir une réponse immédiate. Un succès énorme. L’Internet, lui, est encore dans les limbes.
Le niet des élus
Il le verra arriver très vite. Dès 1986, l’Atelier organise des voyages d’études sur le commerce électronique ou les évolutions technologiques diverses. Billaut fait débarquer 100 personnes chez Microsoft, Intel ou Cisco, les trimballe de la Californie au Japon. En 1993, il crée le Babillard, un BBS, système d’échanges et de discussions électroniques, qui va devenir le lieu de rendez-vous des professionnels passionnés par la révolution numérique en cours (10 000 membres au total !). Patrons de grandes sociétés, informaticiens, cadres du marketing, journalistes, s’y croisent. Partagent des informations, discutent des mérites comparés de telle ou telle expérience.
Avec l’Internet, Billaut biche. Il crée une Webschool, dès 1997, à l’intérieur de la banque. Il en fait des tonnes pour convaincre que le grand jour est à venir. Il agace. Il séduit. Il horripile ou il passionne. Personne, en tout cas, n’est indifférent à ce ludion qui, à la case métier, indique « gourou ». Il est au courant de tout, teste toutes les technos, annonce tous les chambards. Se trompe, aussi, par enthousiasme. Telle start-up devait « révolutionner » le marché français de l’automobile ? Elle n’y a jamais percé. Telle technologie allait « tout changer » ? à voir. Mais globalement, il a raison. Juste trop pressé pour attendre que les faits rejoignent ses prévisions.
Sa dernière passion s’appelle haut débit. Dès 1999, près de Thoiry (Yvelines) où il réside, il entend créer un broadband country. Une zone de haut débit (100 Mbit) pour tous. Le marché seul, pense-t-il, ne fournira pas équitablement cette technologie à tous les citoyens : il entreprend de convaincre les politiques. Fiasco. Quand ils le reçoivent (Boutin, par exemple, l’ignore), les élus des Yvelines l’écoutent poliment. Il dit « rajeunir la région ». On lui rétorque : « On ne veut pas de jeunes ici, ça fout le bordel. » Son Nord d’origine ne sera pas plus réceptif : « Cela va créer un chômage épouvantable », lui répond un élu communiste. Marseille ? Rien. Lyon ? Pas davantage. Ce sera Pau. La seule à s’enthousiasmer. Du coup, malgré la maladie, Jean-Michel Billaut se marre : « Prochaine étape, un nouveau plan Jean-Monet pour l’Europe : 100 Mbit pour 30 euros par mois, pour tous les Européens. » C’est ça, c’est ça... Demain...