La troupe catalane La Fura dels Baus a ouvert la saison musicale du théâtre de Barcelone avec DQ.
Une adaptation de Don Quichotte en opéra numérique, mêlant musique classique et électronique.
En 3014, Don Quichotte est vendu aux enchères, dans un Genève transformé en immense salle des ventes, avant d’être exhibé à Hong-Kong dans un parc d’attractions. Revisitée par le groupe catalan La Fura dels Baus, l’œuvre de Cervantès prend un sacré coup de jeune. Et se transforme en opéra numérique en trois actes, baptisé DQ, qui ouvre, depuis début octobre, la saison du Liceu de Barcelone. Et tout ce que la ville compte de notables, guindés dans des costumes trois-pièces ou des robes de soirée, se presse sur les Ramblas pour assister à cette création mondiale.
Après un incendie qui l’a complètement détruit en 1994, le Liceu a été entièrement rénové. À nouvelle salle, nouvelle direction, qui a choisi de casser sa tirelire et d’innover, pour sa deuxième année à la tête de l’opéra, en co-produisant l’œuvre de cette troupe avant-gardiste. Budget : 166 millions de pesetas (environ 6,5 millions de francs). La Fura dels Baus, qui existe depuis vingt ans et en est à son troisième opéra, a toujours innové et mêlé art vivant et nouvelles technologies. « Avec DQ, nous avons monté un opéra classique, avec orchestre, en y insérant de la musique électronique, des dialogues et des moments de silence, explique Alex Ollé, l’un des fondateurs de la troupe. C’est une création collective. » Les internautes ont en effet participer à la composition musicale du spectacle, grâce à un logiciel développé par La Fura, en 1997, pour leur spectacle La Damnation de Faust : le FMOL, pour F@ust Music On Line. « Il suffit de le télécharger depuis notre site, poursuit Alex Ollé. Ensuite, votre clavier et votre souris vous permettent de composer de la musique sur une harpe électronique. C’est un logiciel intuitif, pas besoin de connaître le solfège. » Plus de 400 contributions ont été envoyées. La Fura en a mixé 160. Résultat : un orchestre qui s’arrête de jouer et qui écoute de la techno, devant un public médusé, peu habitué à ce genre de performances et d’humour. Au début du deuxième acte, une femme apparaît sur un écran géant et lance, à la manière d’une pub L’Oréal, « Don Quichotte, parce que lui aussi le vaut bien... ». À peine une réaction dans la salle.
« Quelle m... ! »
À l’entracte, pendant qu’un immense dirigeable est monté au-dessus de la scène, les commentaires fusent : « quelle m... ! », « c’est fort ce qu’ils ont fait », « c’est juste une performance technologique. » La bourgeoisie catalane, bousculée, apprécie moyennement le mélange des genres, agacée aussi par les longues pauses d’une demi-heure entre les actes. « Notre installation technique est lourde, sourit Alex Ollé. Mais ces entractes font partie du spectacle. Pour faire patienter les gens, une dizaine de PC sont installés près du bar. » Si la majorité, scotchée au buffet, ne les voient même pas, quelques spectateurs moins gourmands s’amusent avec le FMOL, visualisent les répétitions (diffusées en direct sur le Net en septembre) ou se connectent au site de La Fura où l’on trouve toutes les infos sur le processus de création. Plus qu’un prolongement du spectacle, le site, pour Alex Ollé, « est la scène virtuelle sur laquelle se développe notre théâtre numérique. Ce n’est pas le site d’un opéra mais un opéra pour le Net, en parallèle. Une synthèse du DQ que nous jouons au Liceu ». La salle affiche complet avec ce spectacle, joué du 2 au 10 octobre à Barcelone et jusqu’à la fin du mois à Séville. La Fura dels Baus, qui partira en tournée européenne en 2001, a déjà gagné son pari. « Quand La Fura a débuté, nous ne souhaitions qu’une chose : remplir le Liceu et y mettre le feu. » C’est chose faite.