Clubs, stars du ballon rond, ligues nationales... et même Bill Gates. Pour tous, Internet est l’avenir du foot. De son business surtout.
Pour s’offrir Luis Figo, la star du FC Barcelone, le 24 juillet, le Real Madrid a sorti 400 millions de francs qu’il n’avait pas. 400 patates que le club madrilène a réunis en vendant Anelka au PSG, mais aussi en cédant les droits Internet de Figo à Telefónica : pour la modique somme de 236 millions, le géant espagnol des télécoms s’est acheté l’image de la star sur le Web. Telefónica n’en demandait pas plus : l’entreprise n’a pas d’équipe de foot, mais des sites Internet en pagaille... Deux jours plus tard, le rachat de l’espoir espagnol Gerard par le FC Barcelone a failli capoter pour une histoire de Web. Le jeune prodige refusait de lâcher ses droits à l’image sur le Réseau. Il a fini par céder et l’affaire s’est faite.
L’odeur du cash
C’est donc parti. Alors que la réforme des transferts de joueurs professionnels secoue le milieu, le Net fait son entrée dans le foot-business. Les joueurs, souvent premiers à sentir l’odeur du cash, l’ont bien compris. Franck Lebœuf, le successeur de Laurent Blanc en équipe de France, est consultant pour sportal.com. L’Anglais cybersportsinternational.com, en construction, vient de décrocher des accords d’exclusivité avec Emmanuel Petit et Thierry Henry. À Paris, Nicolas Béraud, fondateur de Sport4fun, site de pronostics, espère lui aussi accrocher un « bleu » héroïque. Pas avec du cash : à coup de stock-options... Internet, média global, devait logiquement rencontrer le football, sport-roi planétaire. Le mariage devrait donner de nombreux enfants : « Les bénéfices liés aux nouvelles technologies vont exploser. Les clubs ne pourront plus s’en passer », prévoyait cet été Joan Gaspart, président du FC Barcelone, à la signature de Gerard. Cinq mois plus tôt, Gerhard Aigner, secrétaire général de l’UEFA (Union européenne de football association), s’était fendu d’un petit oracle : « La téléphonie mobile, Internet et la télévision formeront une seule et même entité. Cela va engendrer un changement de paramètres pour les clubs. » L’homme parle d’argent. Et pas de pourboires : l’UEFA chiffre à un milliard de dollars les revenus que les grands clubs européens peuvent espérer tirer du Net dans les dix ans à venir. Prudent, ...ric Conrad, directeur général adjoint d’Havas Advertising Sports, qui gère le site de l’OM, avance des recettes Internet comprises « entre 5 et 10 % des ressources du club d’ici deux ou trois ans ». Mais la réduction des recettes des transferts, jusqu’à 25 % des revenus des grands clubs, devrait doper ces proportions et renforcer l’ardeur des clubs à trouver de nouvelles sources de profit. Jusqu’en 1999, clubs et organisateurs de compétitions se focalisaient sur la manne des droits de diffusion télé des matchs. Mais en septembre 1999, la négociation des droits TV de la première division anglaise s’est alourdie d’un « paquet » Internet. Une première. Et la bataille n’a opposé que des poids-lourds. Bill Gates aurait proposé 10 milliards de francs mais c’est BSkyB (chaîne par satellite, propriété de Rupert Murdoch) qui a raflé l’ensemble pour 13 milliards de francs : 230 millions de francs pour les seuls droits de rediffusion sur le Net. BSkyB s’est récemment illustrée sur le Web : actionnaire de Sportal, elle a payé, en mai dernier, 3 milliards de francs pour Sportinternet - qui gère les sites de 12 clubs de première division anglaise et possède planetfootball.com. Ses sites totalisent 70 millions de pages vues. Et elle veut introduire en Bourse Chelsea Village, le site du club londonien dont elle est actionnaire.
Gel jusqu’en 2004
Malgré cette fièvre du Web - 1001foot.com recensait récemment 4 690 sites de foot -, la diffusion des grands matchs va rester, un temps encore, l’apanage des télés. La qualité de l’image laisse encore à désirer. Et les internautes sont trop peu nombreux pour que le jeu en vaille la chandelle. D’ailleurs, au niveau européen, l’UEFA n’a pas encore autorisé la diffusion d’un match officiel sur le Net. Prudence ? « Ils ont surtout vu que les prix flambaient. Ils attendent de voir ce qu’ils vont pouvoir en tirer », pense Dominique Bessière, directeur des sites sportifs chez CanalNumedia, filiale Internet de Canal Plus. En France, les droits du Net, « gelés » l’été dernier, ont été l’un des enjeux de l’élection de Gérard Bourgoin à la tête de la Ligue nationale de football. Sa victoire n’a pour l’heure rien changé. « Les contrats passés rendent difficile la vente de droits Internet », explique Philippe Diallo, chargé par Bourgoin de phosphorer sur la question. En clair : les chaînes françaises qui ont payé cher les droits télés n’on pas vraiment envie de voir les matchs retransmis sur le Net... D’accord, un petit quota a bien été cédé : la Ligue, les clubs et les chaînes détentrices de droits TV peuvent diffuser sur leurs sites deux minutes d’images, 24 heures après les matchs. Pour le reste, le gel durera jusqu’en 2004. En principe. Canal, elle, se prépare en diffusant sur le Web des matchs africains.
Face aux télés, le Net joue donc la carte de la complémentarité. « Les matchs en vidéo sur le Web sont des coups marketing. L’avenir, c’est le service, assure Frédéric Sitterlé de sport24.com. Sur le site de la Fédération, fff.fr, trois personnes publient, chaque semaine, tous les résultats français, du plus grand match jusqu’à la rencontre de village. La télé s’intéresse à l’élite du foot. Internet est un média participatif. » Peut-être. Mais les argentiers du foot envisagent d’autres ressources sur le Net : merchandising, e-commerce, billetterie, paris en ligne... À l’invite du tandem Canal Plus-Groupe Darmon, dix grands clubs français ont monté le club Europe, pour tirer parti des opportunités du numérique. À la clé pour Canal : un site de merchandising.
Mainmise contestée
Les filiales de grands groupes - comme CanalNumedia ou Havas Advertising Sport - dominent un pan du marché français des produits star du foot, qu’il s’agisse des clubs ou des joueurs. CanalNumedia a déjà à son actif les sites d’Auxerre, Nantes et Lens, ceux de Zidane, Djorkaeff ou Lizarazu. Havas a joué de sa connaissance des annonceurs pour rafler les contrats de l’OM, Saint-...tienne ou Toulouse. Mais cette mainmise est contestée par de jeunes venues, comme l’anglaise Sportal, qui a créé les sites de l’Euro 2000, du PSG et de grands clubs européens, ou encore Athleteline. En soufflant Anelka à la concurrence - le clan de Nicolas appréciait trop peu les railleries des Guignols pour signer avec la filiale de Canal Plus -, la petite Athleteline a réussi un coup de maître. Née en septembre 1999, cette start-up a reçu, en juin, le soutien de BNP-Paribas, Capital Invest et In qual. Depuis, elle a convaincu Barthez et Deschamps. Ses sites affichent un million de pages vues et 150 000 visiteurs uniques en juillet, dont la moitié pour celui d’Anelka. Nicolas se lancera en octobre dans la vente en ligne : casquettes, tee-shirts dédicacés et maillots trempés de sueur... Le joueur touchera 25 % des recettes de son site. On a connu son clan plus gourmand. •