H5 met Zebda en boîte. La petite société de graphistes, primée à Imagina pour
The Child, vient de réaliser le dernier clip du groupe toulousain : Oualalaradime.
Résultat : trois minutes cinquante de pur bonheur numérique pour une animation incroyable qui mêle jeu vidéo, manga et barbapapas...
Ne frappez pas à la porte de l’agence de création graphique H5 avant neuf heures du matin : vous risqueriez de réveiller quelques designers... Ludovic Houplain et Antoine Bardou-Jacquet, les big boss trentenaires de cette petite société parisienne, sont depuis longtemps habitués aux nuits blanches passées à boucler des projets. Mais depuis que H5 a conçu le clip d’Alex Gopher, The Child ; depuis que cette petite merveille d’animation numérique, réalisée toute en caractères typographiques, a gagné le prix du meilleur clip à Imagina, le téléphone n’arrête plus de sonner... Tout le monde s’arrache les meilleurs “clippeurs” du moment. H5 s’est même payé le luxe de travailler avec Midi-Minuit, LA boîte de prod’ branchée.
C’est d’ailleurs par leur biais que la route des jeunes graphistes a croisé celle de Zebda. En décembre dernier, le groupe toulousain lance un appel d’offres pour son futur clip. H5 répond à la proposition et envoie un story-board. “Ils voulaient un clip tout en animation, raconte Ludovic Houplain. Nous, on voulait faire des mélanges graphiques, créer une interaction entre le dessin animé, la 3D, le dessin naïf ou ultra sophistiqué, le manga... On s’est dit que ce serait marrant de pouvoir transposer un héros très typé, avec toutes ses caractéristiques graphiques dans un autre univers que le sien.” Le story-board de H5 est retenu : les grandes manœuvres commencent.
“À partir de là, il fallait trouver un lien avec le groupe Zebda. La chanson, Oualalaradime, c’est un peu une surenchère de cours d’école : chaque membre du groupe a un rôle de super héros et vend ses arguments. On s’est dit qu’on allait les transformer chacun en personnage de dessin animé qui poursuivrait le suivant dans son univers.” En à peine deux semaines, les différents genres graphiques du clip sont définis. Ensuite, toute l’équipe part s’enfermer dans les studios Duran-Dubois pour enchaîner sur la réalisation.
25 personnes à temps plein
Une équipe de création de dessin animé traditionnel, une équipe d’animation 3D, une équipe de développeurs de jeux vidéo : 25 personnes sont mobilisées pendant deux mois pour réaliser le clip. Sans compter le programmeur de jeu vidéo qui a dû recréer l’univers de match de foot virtuel qui ouvre le clip. “Il fallait s’inspirer d’univers connus sans pour autant les plagier, raconte Ludovic. On ne pouvait pas prendre le risque de se retrouver avec un procès.” Ensuite, il a fallu mélanger les genres, en faisant appel aux équipes des studios Duran-Dubois. “En général, on détermine un environnement et on s’y tient, explique Jacquemin Pier, directeur de la 3D des studios. Là, il a fallu intégrer des images 3D dans un environnement en deux dimensions, et caler les animations en permanence. On n’aurait jamais pu faire ça il y a trois ou quatre ans."
Pas facile en effet de fondre un robot Transformer en trois dimensions dans un univers manga, en y intégrant également des personnages tout ronds façon Barbapapas et un joueur de foot sorti d’un jeu vidéo... Jusqu’au bout, Ludovic, réalisateur du clip, a cru qu’il n’allait pas y arriver. À une semaine de la fin du tournage, il ne connaissait toujours pas la durée exacte de la chanson : “on ne savait pas si le morceau allait durer trois minutes trente, trois minutes cinquante ou quatre minutes dix, parce que Barclay n’avait pas encore fait le radio edit. Or, trente secondes en animation, c’est quasiment une semaine de travail. Et on n’avait plus d’équipe d’animation..." Le réalisateur prévoit donc plusieurs versions. La chanson durera finalement trois minutes cinquante.
Pas de clips au kilo
Et encore une fois, le résultat détonne. Dans un milieu où les tournages vidéos durent rarement plus de deux jours, faute de moyens, le clip de H5 ressemble à de la dynamite. “En France, le budget moyen pour un clip est de 300 000 F, explique Ludo. En Angleterre, ils savent qu’ils vont exporter, donc les budgets doublent ou triplent immédiatement.” Pour Zebda, la production aura coûté 700 000 F. “Un bon budget, un bon timing", commente Ludo. Quant aux musiciens, ils auront, sur ce coup-là, donné largement carte blanche aux graphistes : “ils sont venus une fois en studio, visionner dix secondes de clip, raconte le réalisateur. En fait, ils ont fait confiance au story-board." Et au talent de H5... On ne peut pas à la fois “assurer la promo" et s’occuper des produits dérivés.
Le tournage à peine terminé, l’équipe de graphistes s’est lancée sur d’autres projets. “Depuis le clip d’Alex Gopher, ils sont tout le temps en tournage, en rendez-vous ou en entretien", constate Yorgo, un voisin, lui aussi dessinateur, qui partage leurs bureaux de la rue Poissonnière. Une sacrée différence avec l’époque pas si lointaine où les créateurs de H5 planchaient sur le design de l’affiche du Salon du funéraire... Des pochettes de disques pour des petits groupes de musique électronique, à l’illustration de l’album d’Alain Souchon Au ras des pâquerettes, en passant par la consécration The Child, H5 a fait son chemin. Aujourd’hui, la petite équipe s’offre le luxe de faire le tri parmi les dizaines de propositions qu’elle reçoit. “On aime bien l’alternance, explique Ludovic. On ne va pas se mettre à faire des clips au kilo, d’autant plus que c’est assez lourd à faire. Deux ou trois par an, c’est largement suffisant." Quel sera le prochain ? “C’est un peu un secret, plaisante Ludo dans un sourire. Mais ça suffit déjà à remplir nos nuits blanches..."